20 Milieux sous la mer et sur terre

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Jacques Rougerie, architecte, océanographe,
Président de la Fondation Jacques Rougerie

Cité des meriens

Propos recueillis par virginie speight

VIRGINIE SPEIGHT. Comment conjuguez-vous vos deux passions – la mer et l’architecture ?

JACQUES ROUGERIE. Je suis un passionné, pragmatique, qui aime bâtir ses rêves. Un amour inconsidéré pour ce qui représente l’océan. Mes premières lectures ont été Jules Verne, Leonard de Vinci ; une véritable source d’inspiration notamment avec le biomimétisme qu’affectionnait Leonard de Vinci, et la bio-inspiration naturellement. Ma prime enfance, je l’ai passée en Afrique à Abidjan. Des zones tropicales où la nature est très luxuriante mais aussi la forêt, des lieux semi-désertiques. J’ai surtout grandi au bord de la mer. Mes premiers regards, tous mes sens ont été attirés par cet océan Atlantique sur les côtes africaines ; ces grandes houles qui se déversent sur ces immenses plages, la lagune, ces animaux sauvages, toute cette biodiversité. Je nageais quasiment avant de savoir marcher. Puis par la suite, “l’homme sous la mer”, la grande aventure Cousteau, j’ai voulu aller voir ce qu’il nous présentait dans ses films, ces galaxies de corail, ces saisons sous la mer… Je n’ai eu de cesse que d’aller plonger, passer du temps sous la mer. c’est un autre regard, d’autre sensations.

je dis que les hommes les femmes qui vont sous la mer ce ne sont pas des marins, ou des terriens, ce sont des mériens. Déjà en tant qu’étudiant en architecture et en océanographie, j’imaginais des maisons sous la mer que j’ai eu la chance plus tard de construire :4 maisons sous-marines, Galathée, Hippocampe 1 et 2 et Océan… J’ai participé à 12 expériences d’habitat sous lamer. Ce type de maison permet de vivre en osmose avec le monde sous-marin, sortir autant de fois qu’on le veut sous l’eau sans remonter à la surface. Une maison sous-marine, c’est surtout l’impact sur l’environnement, elle doit être entre 2 eaux, ne pas reposer au fond de la mer, sinon ça devient presque une maison terrestre sous la mer. Il faut avoir le moindre impact possible sur le sol, sur le milieu donc des ancrages forcément. Vous avez la chance d’avoir des systèmes sur l’eau, vous avez la poussée d’Archimède. Votre maison, vous la suspendez comme un ballon, vous la positionnez à la profondeur souhaitée, plus un système de câble de treuils. Une maison sous-marine n’est pas régie par les mêmes lois physiques qu’une maison terrestre. Je suis un précurseur du biomimétisme. Quand on parlait de biomimétisme dans les années 60-70 cela faisait sourire tout le monde

V.S. Vous aviez l’impression de prêcher dans le désert ?

J.R. Complètement. Heureusement, il y avait quelques personnes au Muséum d’Histoire Naturelle comme Théodore Monod ainsi que mon père qui était géographe. C’était un des rares endroits où il était question de radiolaires. J’ai beaucoup travaillé sur ce sujet en passant pour un doux rêveur. Par la suite, j’ai eu la chance d’être élève de Frei Otto, un ingénieur doublé d’un architecte extraordinaire.

V.S. Ce n’était pas plutôt du biomorphisme ?

J.R. Absolument. Il n’est pas question d’imiter un crabe une araignée, ou une méduse plutôt suggérer, raconter une histoire. Le biomimétisme m’a beaucoup aidé dans la recherche architecturale, les nouveaux matériaux.

V.S. Le voyage au sens large comme inspiration ?

J.R. Créer des bulles comme des méduses sous l’eau me captive. Il y a eu 56 maisons sous-marines de faites à ce jour. J’ai parcouru le monde pour voir un peu tous ces peuples de la mer qui vivent en osmose à travers les siècles sur la mer ou sur des fleuves ; aussi bien au Pérou sur le lac Titicaca qu’à Ganvié au Bénin, à Amsterdam ou à Venise. Les prémices de cette inspiration, visibles dans mes dessins, c’est Léonard de Vinci. En 1971, pour l’un de mes premiers projets (sans informatique), un engin qui se déplaçait sur la plage est allé à l’intérieur de la mer. Je me suis complètement inspiré avec des ingénieurs, du crabe araignée sur ses 6pattes. Sa façon de se déplacer avec une consommation d’énergie minimum. J’ai aussi imaginé d’autres projets bio-inspirés comme Pulmo, inspiré de la méduse ; un engin pour descendre jusqu’à 6 000mètres afin d’étudier les dorsales atlantiques. En outre, j’ai conçu une université internationale sur la mer inspirée de la raie, un musée flottant en forme de radiolaire, un hôtel sous-marin ainsi que SeaOrbiter inspiré par l’hippocampe.

V.S. Des records à votre actif ?

(Suite de l’article dans le magazine N°13)