Les femmes sont peu présentes dans les métiers de la construction. Il y avaient seulement 12% de femmes salariées dans le bâtiment en 2018. [Par Anne-laure Boursier, Philosophe]
Depuis l’an 2000, la FFB [Fédération Française du Bâtiment] mène pourtant une politique active visant à attirer les femmes vers les métiers du bâtiment. Pour expliquer la faible représentation des femmes, nous écarterons donc une première hypothèse, qui serait que les femmes ont des difficultés à être recrutées à des postes dans le BTP parce que la candidature d’une femme est considérée comme moins légitime que celle d’un homme : la démarche de la FFB semble prouver que les employeurs du BTP ont la volonté de féminiser leurs effectifs.
Deuxième hypothèse : les métiers du BTP ne sont pas désirables pour les femmes. Penchons-nous sur cette hypothèse, en nous demandant tout d’abord d’où proviennent nos désirs. Notre sensibilité joue un rôle, mais les désirs sont avant tout façonnés par notre éducation, par le milieu culturel dans lequel on évolue, et par la société : » On ne naît pas femme on le devient. » écrit Simone de Beauvoir dans le Deuxième Sexe2 : on devient femme en intégrant le système de représentations encore très patriarcales, générateur de stéréotypes qui décrivent ce que doit être une femme. Qu’est-ce qu’un stéréotype ? Ce sont des représentations sociales standardisées qui catégorisent de manière rigide et persistante tel groupe humain3 .
Les stéréotypes sexués fonctionnent selon deux modes, l’accentuation de la différence entre les deux groupes sociaux [binarité absolue] et l’uniformisation à l’intérieur de chaque groupe. Si l’on dit « la femme » pour signifier « toutes les femmes », c’est parce que l’on considère que toutes les femmes partagent certaines caractéristiques. Idem pour les hommes. A cette « définition » des normes féminines et masculines, qui se décline en compétences, s’ajoute une hiérarchisation des sexes, le masculin étant supérieur au féminin. C’est en partie pour cela que les hommes sont mieux payés que les femmes. Quels stéréotypes sont habituellement attribués aux femmes et sont-ils incompatibles avec les métiers de la construction ? Simone de Beauvoir identifie la passivité comme faisant partie des stéréotypes féminins fondamentaux : « La passivité qui caractérisera essentiellement la femme «féminine» est un trait qui se développe en elle dès ses premières années. Mais il est faux de prétendre que c’est là une donnée biologique : en vérité c’est un destin qui lui est imposé par ses éducateurs et par la société » écrit-elle4. L’ethnologue Françoise Héritier5 en donne une explication anthropologique : « cette valence différentielle des sexes, un sexe fort, un sexe faible, un sexe positif, un sexe négatif, un sexe agissant, un sexe passif, est construite dans toutes les sociétés comme une sorte de résistance, de contrepoids à l’exclusivité féminine de la reproduction » : Que la lumière soit, que les femmes produisent la vie, que les hommes produisent le monde. On peut citer d’autres caractéristique prétendument féminines comme la douceur, la gentillesse ou encore l’hystérie, mais celle qui a son importance ici est le repli sur la sphère privée plutôt que sur la sphère publique : le foyer, le travail domestique sont historiquement l’apanage des femmes, alors que les hommes sont destinés à la vie publique et à l’action.
Il s’agit là encore d’une caractéristique peu propice à l’engagement dans la construction du monde. Il y a de plus un consentement social à la norme de genre, qui est très fort, y compris chez les femmes. Dès lors, on peut affirmer qu’une femme travaillant dans le BTP n’est pas conforme à la représentation sociale de « la femme ».
En choisissant ce domaine, elle prend un risque qu’il lui faudra assumer. Bien évidemment, les mentalités changent, mais très doucement. Une analyse plus fine permettrait de montrer qu’il existe des différences entre les métiers : le chantier, les métiers d’ingénierie autour du bâtiment, l’architecture, les postes de direction, l’encadrement administratif.
Si ce dernier type de métier se féminise plutôt mieux que les autres, ce n’est pas très significatif car une comptable dans le bâtiment est avant tout une comptable. Ce qui serait réellement intéressant serait plutôt d’avoir des femmes sur les chantiers. En attendant, les métiers du bâtiment souffrent de cette situation car la diversité est toujours source de progrès à long terme.
Dernier point : en est il de même pour l’industrie ? Non, il existe même des usines où travaillent majoritairement des femmes. On peut donc prédire que l’industrialisation et la construction hors-site seront des accélérateurs de la féminisation des métiers du BTP. Pour le pire et pour le meilleur !