Aux avant-postes de la construction, les architectes doivent composer avec ce nouveau venu qu’est le hors-site. Christophe Millet, architecte, trésorier et référent hors-site au Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), nous aide à comprendre comment sa corporation envisage ce récent mode constructif. Entre pédagogie à mener auprès de ses confrères et mise en place d’un référentiel, il analyse la transition du secteur.
Christophe Millet, architecte DPLG
Comment, au Conseil national de l’ordre des architectes (CNOA), abordez-vous la construction hors-site ?
Christophe Millet : Au CNOA, la construction hors-site est arrivée par la commande politique l’année dernière, via Olivier Klein, alors ministre du Logement. Nous avons reçu une lettre nous invitant à y réfléchir. Cela nous a conduits à être membres du conseil d’administration de l’association Filière hors-site France que nous venons de créer aux côtés des membres de la Société du Grand Paris, de Grand Paris Aménagement et de l’Immobilière 3F, maîtres d’ouvrage et bailleurs parisiens. Avant cela, le hors-site était un non-sujet au CNOA. Peut-être parce que notre institution se positionne sur les sujets d’intérêt général et pas du tout sur un système constructif en particulier. C’est en se situant dans une politique plus globale que le CNOA a choisi de s’engager dans cette aventure collective. Pour autant, nous avons surmonté le traumatisme lié à construction préfabriquée des années 1960 à 2000 qui a produit une architecture reproductible, peu désirable. Nous nous sommes aussi aperçus qu’il y a des architectes qui n’ont pas attendu et qui s’intéressent à la construction hors-site et modulaire pour améliorer la qualité constructive des logements. En plus de cet objectif, le CNOA aborde cette nouvelle manière de faire comme un levier pour accélérer la transition écologique, développer les ressources biosourcées et l’usage du réemploi, animer une économie locale et performer sur la réhabilitation des logements.
Cela signifie-t-il que, pour vous, la construction hors-site est d’abord modulaire ?
Lorsque nous avons pris connaissance du courrier (du ministre du Logement, ndlr), nous nous sommes demandé quelle était la définition du hors-site, entre les filières sèches, la préfabrication et le modulaire. Et puis ce nouveau terme nous a interrogés. Finalement, nous sommes arrivés à une définition qui est celle de l’association, c’est-à-dire que la construction hors-site est composée de tous les éléments 1D, 2D, 3D reproductibles à une échelle suffisamment raisonnable pour être construits en usine, en série, adaptés à chaque projet et éventuellement réutilisables. Et ça, c’est nouveau, car jusqu’à présent, il y avait la préfabrication qui n’est pas nécessairement de la fabrication en série, idem pour la filière sèche et le modulaire.
Donc tout le monde est d’accord sur cette définition, il n’y pas de débat ?
C’est celle qui fait consensus. Et pour nous, elle s’inscrit d’une part dans une maîtrise du projet par les architectes et la maîtrise d’œuvre et d’autre part dans une perspective de développement des projets de réhabilitations. Dans tous les cas, elle interroge la profession sur les systèmes constructifs de leur projet, il s’agit d’y voir une opportunité.
Si vous n’avez pas de crainte au sujet de la construction hors-site, peut-être avez-vous encore des collègues réticents ?
Il faut faire la distinction entre la position du CNOA – qui a travaillé sur le sujet – et celle des architectes qui, pour certains, le découvrent. Nos confrères peuvent se trouver dans le même état d’esprit que nous l’étions il y a un an. Cela signifie qu’il y a un important travail pédagogique à mener auprès des architectes pour expliquer en quoi le conseil de l’ordre s’intéresse à ce sujet. Au-delà des aspects politique et sociétal, les architectes sont ceux qui conçoivent les projets. L’organisation de la filière hors-site impactera naturellement le quotidien des agences. Et nous restons garants de qualité architecturale comme expression de la culture. La filière doit aussi expliquer qu’elle n’est pas synonyme de reproduction des bâtiments. Nous défendons, avec l’association, une filière hors-site qui s’adapte aux territoires et à leurs spécificités, à leur économie et donc aux matériaux biosourcés et géosourcés que l’on y trouve.
Avec la construction industrialisée, certains redoutent de voir arriver des éléments constructifs venus de Chine ou d’ailleurs. Pour défendre les territoires, l’économie circulaire décarbonée, qu’allez vous mettre en place ?
Autrement dit, pourquoi est-il important que le hors-site se développe localement, avec des matériaux bio et géosourcés ? La construction traditionnelle en maçonnerie ou béton armé présente l’avantage de préserver l’emploi et d’utiliser des ressources locales. On transporte très peu le sable, le ciment ou les granulats. Mais c’est malheureusement une industrie très carbonée. Avec la construction industrialisée, le risque, c’est l’absence de traçabilité des matériaux qui alimentent les usines. Il ne faudrait pas se retrouver avec des matériaux importés ou des éléments préfabriqués ou standardisés provenant de pays lointains. Il est évident pour nous qu’il ne peut y avoir de filière hors-site si on ne travaille pas la traçabilité et s’il n’y a pas de développement de l’économie locale avec l’écosystème des producteurs de matériaux biosourcés ou géosourcés. Et si on utilise d’autres matières, il faut au moins qu’elles soient locales. C’est très important pour l’emploi. La baisse du nombre de compagnons sur les chantiers doit pouvoir être compensée parles emplois in situ. Sur ce point, l’association et le CNOA doivent être garants que la filière hors-site se structure autour d’une économie locale et décarbonée.
Comment ?
Dans le référentiel hors-site qui est mis en place, le critère du positionnement de l’usine est structurant. Nous devons étendre ce critère aux produits qui alimentent les usines. Si on ne le fait pas, nous perdrons notre pari de décarboner mieux dans un environnement local.
Revenons sur le travail de l’architecte lui-même. Comment s’emparer des éléments hors-site pour faire architecture ?
Il est tout d’abord important de rappeler que le système constructif fait architecture. Ce n’est pas qu’une question d’ingénierie ou d’économie de projets, c’est avant tout de l’architecture. Un exemple : la première assemblée générale de l’association s’est tenue dans un patio en structure métallique. Si ce lieu était beau, lumineux et agréable, c’était parce que son système constructif fait l’architecture. Les architectes pourraient craindre parfois que le système constructif leur échappe pour aller alimenter les ingénieurs et les usines. Je pense, au contraire, qu’en intégrant ce sujet dans les agences, nous renforçons notre maîtrise sur ce critère architectural qui dessine la modularité de l’espace. Il fait notre cadre spatial. Les aménageurs le voient pour une question de délais, les bailleurs pour une question de coût, les entreprises pour faciliter l’emploi et réduire la pénibilité. Tout le monde y trouve un intérêt, mais personne ne pense à dire que c’est avant tout de l’architecture. Et c’est bien de la main de l’architecte que doit sortir le système constructif.
Sur l’aspect carbone, nous avons évoqué les matériaux locaux biosourcés. Laconstruction hors-site est-elle forcément en bois et biosourcée ou est-elle le fruit d’une mixité de matériaux ? En définitive, tout est-il utilisable ?
« Le bon matériau au bon endroit »… Vous avez dû utiliser cette maxime dans de nombreux articles. Je pense que c’est à nous de réfléchir : quel doit être le matériau transformé dans les usines pour alimenter les chantiers ? Il n’y a pas de matériau proscrit. Mais le recours à des matériaux locaux ou issus du réemploi constitue une vraie opportunité pour les filières biosourcées et les jeunes entreprises très actives dans les ressources issues des déconstructions.
Pourquoi ?
Si on s’assure qu’une filière hors-site alimente une économie locale, à chaque fois qu’une entreprise s’implantera localement, elle aura la capacité de travailler avec celles qui produisent de la paille, du bois, des produits béton. Donc non, il n’y a pas de matériau proscrit. Cependant, c’est une opportunité pour décarboner la construction.
Où placez-vous le curseur du hors-site dans un projet, sachant que vous êtes avec l’association en train de préparer des référentiels ?Aujourd’hui, l’association se structure autour de plusieurs groupes de travail. Nous avons besoin de temps pour placer les curseurs. Mais déjà, nous répétons d’une même voix que le hors-site n’est pas que le module 3D. Si on réfléchit comme ça, on fera fuir les architectes et, sans eux, il n’y a pas de hors-site. Il faut que nous ayons une communication et une exigence de filières qui soit progressive et qui parte de la base, c’est-à-dire de la qualité spatiale. Puis le niveau de finition et le niveau d’avancement se feront avec les entreprises.
Vous dites également que l’intelligence artificielle (IA) aura un rôle à jouer, lequel ?
La question est : quelle est la bonne échelle industrielle pour à la fois répondre à une demande qui soit viable économiquement tout en réalisant une œuvre architecturale unique ? Il est probable que l’IA, lorsque les industriels et les architectes s’en seront emparés, nous permettra définir cette bonne échelle. Mais avant tout, il faut faire en sorte que le monde industriel et le monde de l’architecture dialoguent, que chacun connaisse les contraintes de l’autre. Aujourd’hui, lorsqu’un architecte présente un projet, il expose sa conception au maire, en utilisant un récit. Nos confrères parlent du territoire, d’usages, de matérialité, de matériaux biosourcés, de filière locale, mais l’usine de construction de façade située à 30 kilomètres n’entre pas dans le récit. Le dialogue entre les acteurs est au cœur de l’association.