Et si nous réhabilitions la notion de « standard » ?

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L’industrialisation passe par la notion de standardisation, c’est en effet dans la recherche de processus et de composants standardisés qu’il est possible d’améliorer la productivité par l’usage de l’amélioration continue.

Ceux qui l’ont compris, ont fait dans les 30 dernières années, des progrès considérables, les exemples sont nombreux et nous pouvons tous en tant que consommateurs, le constater. Les produits qui nous entourent, nos vêtements, nos chaussures, nos téléphones, nos machines à laver, nos voitures, n’ont plus grand-chose à voir avec ceux des années 80. Les plus anciens se souviendront de leurs autos capricieuses, pas toujours faciles à démarrer. Pas question de la prêter à un ami sans lui expliquer les petites astuces trouvées au fil du temps. D’autres se souviendront du prix excessif des ordinateurs ou des télévisions. Aujourd’hui, les objets qui nous entourent sont d’une très grande qualité, ils sont beaux, fiables et accessibles financièrement.

Les méthodes du Lean, développées depuis la fin de la seconde guerre mondiale, avec une forte accélération à la fin des années 80 ont montré leur extraordinaire capacité à améliorer la productivité et donc la qualité, tout en réduisant le coût. Si ces notions de standardisation ont été parfaitement comprises dans les meilleures industries, si les millions de personnes qui y travaillent ont intégré dans leur ADN ces notions de standardisation, il n’en est rien en ce qui concerne la construction et l’immobilier.

Les acteurs de l’immobilier ont pour la plupart une totale méconnaissance de ces notions et sont convaincus que standard rime avec uniformité et pauvreté architecturale, ils ont sans doute à l’esprit la célèbre phrase prononcée en 1917 par Henri Ford, « Si vous voulez une Ford T, vous pouvez l’acheter de n’importe quelle couleur pourvu qu’elle soit noire », il faut dire que pour réussir l’exploit de fournir à tous les Américains une voiture, à l’époque de la voiture à cheval, il fallait réduire les coûts de manière drastique.

Le Fordisme se caractérise en effet par une standardisation poussée à l’extrême, qui a permis de produire 17 millions de voitures avec un prix réduit de 850 $ à 350 $ en 20 ans, rappelons ici que la Ford T, c’était il y a plus d’un siècle et que l’industrie de 2020, n’a plus rien à voir avec cette époque. Si le standard est bien le maître mot, ce sont les process et les composants que l’on standardise, tout en cherchant avec un minimum d’éléments à proposer aux clients une grande diversité, de nombreux choix et une voiture parfaitement adaptée à leurs souhaits.

Il n’est pas rare de trouver sur une voiture jusqu’à 500 000 configurations possibles, alors que les composants sont eux parfaitement standardisés et donc produits en grande série. Les acteurs de l’immobilier et de la construction, de même que les acteurs de la politique du logement, les maires et les aménageurs entre autres, sont persuadés que l’industrialisation et la standardisation ne peuvent que produire des bâtiments, ou des logements tous identiques et d’une grande pauvreté architecturale. Mon sentiment est que ceci, finalement est assez nouveau et sans aucun doute lié à la trop forte utilisation de la standardisation des années d’après-guerre.

La reconstruction de la France pendant les 30 Glorieuses a, sans aucun doute, utilisé à outrance la standardisation. Les grandes barres des HLM de banlieue, les « Chalandonettes », les piscines tournesol, les lycées « Paillerons » ont poussé comme des champignons, tous identiques quelles que soient les régions de construction. La reconstruction de la France a été menée, avec brio, de nombreuses familles ont été relogées, dans des conditions décentes, w.-c. et salle de bains dans le logement, chauffage central et commodités…

On doit bien reconnaître que si le challenge de reconstruction a été mené avec succès, on ne s’est pas trop embarrassé de recherche d’intégration dans l’environnement, les bâtiments étaient identiques qu’ils soient à Lille, à Marseille ou à Strasbourg.

Dans les années 75, de nombreuses voix s’élèvent pour stopper cette hémorragie architecturale, et imposent pour toute construction la prise en compte de son environnement proche et de son contexte. Les acteurs se voient donc imposer des contraintes de plus en plus fortes, il faut dire que les grands projets ont été pour la plupart réalisés, et que l’on recommence à investir la ville avec des opérations beaucoup plus petites. Le béton est devenu le matériau de prédilection des périodes de la reconstruction. Il possède l’avantage d’une plasticité incroyable et se prête à toutes les formes, il donne la possibilité aux architectes de s’exprimer très librement. Il s’ensuit une période, qui court encore aujourd’hui ou le maître mot est le « sur-mesure », ou l’on finit tous par se persuader que la qualité passe par la différence, ne jamais faire le même bâtiment, jamais le même logement, jamais la même salle de bains devient la règle de la qualité… Les acteurs de la construction se sont organisés pour répondre à cette demande et sont devenus des experts du « sur-mesure » se pliant à toutes les volontés des clients et de leurs architectes en apprenant à construire des bâtiments qui sont en fait de purs prototypes.