Biosourcés en marche

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L’engouement pour la construction en bois entraîne dans son sillage l’utilisation de matériaux biosourcés–paille, chanvre, lin, bambou, ouate de cellulose, etc. – impactant moins l’environnement que les plus conventionnels, que ce soit sur le plan de la ressource ou de l’énergie grise…Une réponse positive aux besoins de frugalité et de décarbonation du secteur de la construction.

Isonat, société du groupe Saint-Gobain, a prévu de doubler sa capacité de production d’isolants en fibre de bois d’ici fin 2023 dans son usine de Mably (42). Soit la création de 30 et 40 emplois directs et un approvisionnement local (région Auvergne- Rhône-Alpes).

La RE2020 – parce que le calcul de l’ACV dynamique favorise l’utilisation des matériaux dits biosourcés, mais aussi, la prise de conscience des enjeux environnementaux face au dérèglement climatique –, devrait favoriser leur développement. Issus de la biomasse végétale et animale, ces matériaux – on parle aussi de « biomatériaux » ou d’« agro-ressources » – sont aujourd’hui matures à tous points de vue : développement des modes constructifs et compatibilité avec les réglementations diverses. La filière, ou plutôt les filières identifiées par le ministère de l’Écologie présentent un fort potentiel de développement économique pour l’avenir. Notamment en raison de leur rôle essentiel dans la diminution des consommations de matières premières d’origine fossile, dans la limitation des émissions de gaz à effet de serre, mais aussi dans la création de nouvelles filières économiques. Le recours à des matériaux biosourcés s’inscrit donc, en toute logique, dans une double démarche de développement durable et d’économie circulaire.

Premier d’entre eux : le bois. Les différents systèmes constructifs disponibles (poteaux/poutres, poteaux/dalles, ossature bois, bois/béton…) répondent, à travers des solutions génériques et évaluées, aux contraintes et aux réglementations en matière de feu, d’acoustique, de thermique. Le bois s’impose en raison de ses qualités constructives indéniables, parmi lesquelles la légèreté, une inertie moyenne, la possibilité de préfabriquer en 2D ou 3D, la rapidité d’exécution et des chantiers à faible nuisance… « Si le bois d’œuvre est évidemment le premier d’entre eux, sa filière, très organisée, est en revanche à part. Ainsi, lorsque l’on parle de matériaux bio-sourcés, on a tendance à ne pas l’englober », explique Bernard Boyeux, directeur général de BioBuild Concept. Le terme englobe en général d’autres végétaux.

Cela étant, bois et matériaux biosourcés vont souvent ensemble et tous présentent un double avantage. D’une part, leur extraction et leur transformation sont peu gourmandes en carbone ; d’autre part, ils sont les seuls, lors de leur croissance, à stocker le carbone, qui plus est de manière efficace. Ils favorisent ainsi la préservation des ressources naturelles, et « leur effet stockage a lieu en totalité dès la construction du bâtiment et répond au caractère d’urgence du changement climatique », se félicite Bernard Boyeux.

En effet, les analyses du cycle de vie des bâtiments, issues de l’expérimentation E+/C, montrent que 75 % des gaz à effet de serre proviennent des produits de construction. Pour réduire l’empreinte carbone du secteur, il faut donc absolument limiter les émissions liées à ces matériaux. Or, l’amélioration de l’efficacité énergétique – qui reste indispensable – induit une augmentation des quantités de matériaux par mètre carré construit, en particulier de matériaux isolants. « C’est pourquoi, explique Bernard Boyeux, les valorisations matière des biosourcés et du bois sont intéressantes, car elles prolongent la fonction puits de carbone de la biomasse (de l’ordre de 1,8tep CO2/t) et permettent le recyclage ou le réemploi – dans une logique d’économie circulaire –, puis une valorisation énergétique ultime des biomatériaux en fin de vie (à hauteur de 0,25tep/t). » Ils sont aussi une alternative plus que crédible face aux problèmes de renouvellement de certaines matières premières en voie de disparition, comme le sable. Utilisés en isolant (fibre de bois, de chanvre, etc.) ou comme éléments constitutifs des parois (chanvre, paille), ils affichent des propriétés – telle l’inertie, la perspirance, l’hygrorégulation – qui vont bien au-delà de la simple isolation. Et le fait qu’ils soient aujourd’hui intégrés aux textes réglementaires est un gage de leur développement. Par exemple, la norme NFDTU31.2 (« Construction de maisons et bâtiments à ossature en bois ») a permis de rassurer quant à leur pertinence. Désormais clarifiées, les solutions bois peuvent répondre à des projets d’ampleur. Ainsi, le texte autorise le recours à des solutions de murs perspirants utilisant des matériaux biosourcés, d’où la possibilité de réaliser des parois dotées d’un comportement hygrothermique plus intéressant.

Reste une inconnue de taille : la capacité des filières à répondre à la demande qui, forcément, ira croissante. Car la difficulté provient davantage de la disponibilité des ressources et de l’organisation des filières. C’est le premier travail à réaliser pour que les produits biosourcés se développent à grande échelle. Mais les filières, souvent locales, restent inégalement organisées. Même le béton de chanvre, qui existe depuis trente ans et qui est pourtant soumis à des règles professionnelles, a du mal à s’imposer. Émanation de l’Institut français pour la performance du bâtiment (Ifpeb) et de Carbone 4, Le Hub s’est penché sur la capacité des filières bois et biosourcés à croître et à répondre aux attentes du marché. Le résultat d’un appel à projets à innovation montre que cela est possible, à condition de se structurer. Cela passe par la pratique, la formation et, bien sûr, par une exploitation intelligente des ressources.

Fabriqué en France à partir de fibres végétales recyclées (coton, lin et jute), cet isolant biosourcé, développé par Knauf, répond aux enjeux de préservation des ressources et de réduction des consommations d’énergie des bâtiments.

Quelle sera la place des biosourcés dans la construction à l’horizon 2030 ? Les filières sont-elles suffisamment matures et développées pour répondre à la trajectoire attendue ? Saurons-nous faire place à ces matériaux (pas si nouveaux) dans une équation coût/carbone cohérente ? Autant de questions posées par Le Hub. Il ressort de ces travaux ce dont on se doutait un peu : « Les biosourcés sont les champions du bas carbone par effet de substitution. » Issus de procédés peu intensifs en énergie et en carbone, ils apportent un bénéfice immédiat très significatif par effet de substitution par rapport à des produits conventionnels. Et ce, ajoutent les rédacteurs de l’étude, « sans tenir compte de l’effet de stockage du carbone ni de l’avantage méthodologique lié à l’ACV dynamique ». Pourquoi ? Tout simplement parce qu’en recourant aux biosourcés, on utilise moins de matériaux énergivores et d’énergies fossiles. Le second bénéfice carbone est, bien sûr, la séquestration temporaire de carbone. Pour exemple, le bois stocke environ 1t de CO2/m3. Toutefois, Le Hub précise que « l’impact des matériaux biosourcés sur les puits de carbone varie en fonction de la gestion de la ressource, de la durée de vie des matériaux et de l’horizon temporel étudié. Des critères sur la gestion de la ressource et sur l’usage des matériaux permettent d’optimiser l’effet puits. »

Challenge collectif

Autre constat : « Le développement des biosourcés est d’abord une affaire de pratiques. » Le secteur du bâtiment s’est structuré principalement autour de quelques matériaux. Le bois représente environ 8 % des parts de marché de la construction. Pour faire une place aux biosourcés, c’est donc toute une industrie et l’ensemble de la chaîne de valeur qui va apprendre à concevoir, réaliser et exploiter différemment : « Un challenge collectif qui met en lumière l’importance de ne pas opposer les matériaux, mais plutôt de viser une performance plurielle : technique, économique et bas carbone. » D’ores et déjà, cette industrie se structure, et les matériaux biosourcés ont de multiples applications : « L’appel à innovation montre que des solutions matures, disposant de l’ensemble des documents nécessaires (Avis technique ou ATex, FDES), sont déjà nombreuses sur le marché. »

Disponibilité de la ressource

Concernant la ressource, la France, premier producteur de plantes à fibres et troisième ressource forestière d’Europe, est particulièrement bien positionnée pour accompagner le développement des biosourcés. Sachant qu’il est nécessaire de distinguer la filière bois de celle des fibres végétales. Sur ce plan et selon les experts, « la disponibilité des ressources en fibres végétales est suffisante pour faire face à une hausse significative, les matériaux utilisant dans la grande majorité des cas un coproduit qui est peu, voire non exploité. » C’est typiquement le cas de la paille. Du côté de la filière bois, les experts relèvent que l’enjeu majeur est « l’articulation entre les acteurs des premières et deuxièmes transformations pour un approvisionnement dans de bonnes conditions sur le territoire français (coûts, qualité et délais). L’augmentation des demandes en bois d’œuvre est également susceptible de poser des enjeux de disponibilité de la ressource. Pour limiter les importations et valoriser les ressources françaises, la filière pourrait se structurer autour du bois feuillu (représentant les trois quarts des essences françaises) en complément du bois résineux (souvent importé du nord de l’Europe, ndlr), et les prescripteurs devront s’orienter vers ces essences ».

Exploiter les atouts

En outre, la formation des acteurs (maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, entreprises, etc.) est un autre axe majeur pour assurer un emploi optimal de ces matériaux : « Construire en biosourcés nécessite, en effet, une connaissance et une maîtrise de leurs spécificités pour exploiter leurs atouts, tout en assurant une conception optimisée sur le plan qualitatif comme économique. » C’est donc à ces conditions qu’il sera possible d’accroître le recours à ces matériaux dans la construction et d’optimiser leur compétitivité sur l’ensemble de la chaîne de valeur (économie d’échelle pour les coûts de production, optimisation de la conception et de la mise en œuvre), « ce qui devrait permettre à la filière d’être d’autant plus compétitive sur une approche coût/carbone », concluent les auteurs. Et les industriels du secteur de l’isolation n’ont pas attendu pour s’y intéresser. Isover, du groupe Saint-Gobain, a racheté Isonat en2016, tandis que Soprema acquérait Pavatex la même année. Deux leaders des isolants en fibres de bois. Knauf, de son côté, commercialise depuis 2022 un produit 100 % végétal fabriqué en France à partir de fibres recyclées (coton, lin et jute). Les industriels de la façade s’y intéressent aussi et les intègrent à leurs procédés d’isolation thermique par l’extérieur sous enduit (Etics). Chez Weber, groupe Saint-Gobain, le choix s’est porté sur le liège, un produit 100 % naturel d’origine portugaise, sans résine de synthèse, au faible impact environnemental. D’autre sont opté pour les fibres de bois, comme Sto, Soprema ou encore Parexlanko. Si les demandes sont croissantes, il s’agit encore d’un marché de niche, mais qui, pour toutes les raisons déjà évoquées, a l’avenir devant lui.

Murs préfabriqués ossature bois-béton de chanvre utilisés pour la construction des nouveaux bureaux de Cavac Légumes en Vendée. La Cavac Biomatériaux sous Biofib’Isolation commercialise des isolants en fibres végétales chanvre et lin cultivées dans un rayon de 100 km autour du site de production.

De fait, commercialisés sous forme de panneaux ou directement projetés sur la façade, les matériaux biosourcés s’adaptent autant au neuf qu’à la rénovation. À l’extérieur, ils peuvent se présenter sous forme de panneaux maintenus par une ossature bois, collés ou agrafés, permettant de créer une façade ventilée et d’intégrer les gaines de ventilation double flux, le tout pouvant être fabriqué hors-site.

Le béton végétal, quant à lui, propose trois options : deux humides et une sèche. En version humide, il s’agit d’un mortier à base d’eau qui se projette directement sur une façade existante, retenu par des échelles métalliques. L’épaisseur est définie selon les besoins (performance thermique) et les contraintes existantes (modénatures, mitoyenneté). En version sèche, le béton végétal devient un matériau préfabriqué qui, agrafé, vient remplacer l’isolant traditionnel. Dans tous les usages, la finition est libre : un enduit à la chaux ou une vêture rapportée. Mais les bétons végétaux chanvre et bois sont surtout totalement adaptés aux solutions hors-site. Et si la demande n’est pas encore au rendez-vous, les sites de production se développent un peu partout en France même, car comme pour les isolants, le secteur attend un fort développement d’ici à 2030.

Stéphane Miget