The Eames House, monument de l’architecture modulaire
Combiner vie domestique et professionnelle – vous ne rêvez pas –, pour Charles et Ray Eames, c’était déjà une évidence en 1949, comme l’atteste leur maison modulaire, la fameuse Eames House.
Charles Ormond Eames Jr (1907-1978) et Bernice Alexandra « Ray » Kaiser Eames (1912-1988) couple légendaire de designers américains, ont laissé une empreinte indélébile dans l’histoire de l’architecture et du design du XXe siècle. L’Eames Lounge Chair ou l’Eiffel Chair, pour ne citer qu’elles, figurent parmi leurs créations les plus emblématiques et s’échangent aujourd’hui à prix d’or.
Pour ce duo hors-norme, plein d’humour, au pragmatisme chevillé au corps, un principe prévaut tout au long de leur carrière : produire le meilleur pour le plus grand nombre au coût le plus bas. Ici, nous nous intéresserons en particulier à la Eames House, leur propre maison connue sous le nom de The Case Study House N°8 (La Maison d’étude de cas N°8). En 1949, Charles et Ray l’ont conçue et construite à Pacific Palisades, en Californie, dans le cadre du programme Case Study Houses parrainé par le magazine Arts and Architecture sous la houlette de son éditeur John Entenza. L’objectif de ce programme étant d’exprimer la vie de l’homme dans le monde moderne.
En plein boum industriel, les années 1940 se traduisent par l’arrivée en masse de centaines de milliers de personnes en Californie. Une construction effrénée d’habitations, jusqu’à plus de 100 maisons par jour, dessinées sans aucune imagination, en porte-à-faux avec les aspirations de leurs occupants. À contrario, Charles et Ray Eames n’envisagent l’architecture que sous une forme avant-gardiste – un lieu de vie avec une forte personnalité, pratique et minimaliste, autour des réels besoins des habitants. Ce n’est plus la personne qui doit s’adapter à la maison, mais exactement le contraire.
Ils ont imaginé leur demeure avec l’idée originale, pour l’époque, de servir à la fois de maison et de studio pour y travailler – intimité et créativité ne feront qu’un. Il s’agit concrètement de deux structures, un espace de vie et un espace de travail reliés par une cour. Le tout niché sur une falaise, entre une colline et une rangée d’eucalyptus, et parfaitement intégré au paysage environnant. Cette demeure modulaire intemporelle composée de modules métalliques préfabriqués est à l’image du couple : gaie, fluide, élégante et chaleureuse. Comble du modernisme, elle comprend une cuisine ouverte et spacieuse – la fameuse cuisine américaine. Mais le couple n’en est pas resté là, quitte à bousculer les habitudes de ses contemporains : ils imaginent deux salles de bains, ce qui deviendra par la suite la norme. « Nous nous intéressons à la maison comme un outil indispensable pour vivre à notre époque, nous voyons la maison comme une solution pour les êtres humains en quête d’un refuge. Une réponse qui est contemporaine du point de vue structurel – la maison devant profiter surtout des meilleures techniques d’ingénierie de notre civilisation hautement industrialisée », a déclaré Charles Eames.
De face, la maison de 139 m2 à l’enveloppe industrielle ressemble à un tableau de Mondrian. Des panneaux blancs et de couleurs primaires sont positionnés autour d’une structure en acier noir.
Pour les fondations de la maison, les architectes ont eu recours au béton et utilisé de l’asphalte pour le toit. Les murs sont un mélange de stuc de verre ,de bois, d’amiante, de métaux et de matières synthétiques. Des carreaux de linoléum blanc ornent la résidence et le studio. La salle de bains arbore des carreaux de linoléum noir et blanc. Les cloisons en bois recouvertes de toile dans le studio font écho à l’esthétique japonaise.
La maison a été entièrement assemblée avec des éléments préfabriqués, y compris les panneaux d’acier, de verre, d’amiante et de Cemesto. Cette préfabrication d’éléments industriels prêts à l’emploi a permis un assemblage en seulement 90 heures.
La Eames House, aujourd’hui un monument historique national, est visitée par des personnes du monde entier. En 2004, la fille de Charles, Lucia Eames, a créé une organisation à but non lucratif appelée la Eames Foundation pour préserver et protéger la Eames House et offrir des expériences éducatives célébrant l’héritage créatif de Charles et Ray Eames. Un couple qui aimait à répéter que « le plaisir est à prendre au sérieux ».
virginie speight