L’âge de raison d’une tendance porteuse d’espoir pour les professionnels du bâtiment

1896

Guillaume Loizeaud,
Directeur division construction
de RX France

Depuis cinq ans environ, une tendance stimule et agite le monde des professionnels du bâtiment : la construction hors-site. Ce terme est de toutes les conférences, rapports, conversations dans les cercles professionnels, réflexions des prospectivistes comme des stratèges des majors. Ce nouveau mot se diffuse rapidement, à une vitesse et avec un enthousiasme qui rappellent l’arrivée du BIM en France au milieu des années 2010. Plus que l’engouement pour la nouveauté ou un effet de mode, le hors-site intéresse et fascine les professionnels, car il est porteur d’espoir; il apparaît comme LA solution au problème à plusieurs dimensions que doivent résoudre les femmes et les hommes du bâtiment : comment, en 2023, pérenniser une activité économique dont le modèle est fondé sur le volume, le prélèvement des ressources et l’empilement des coûts comme des fonctionnalités en réponse à une demande aux exigences croissantes, mais au pouvoir d’achat contraint ? Une telle problématique est un défi pour le secteur qui mérite peut-être un saut quantique. Les professionnels s’intéressent au hors-site car ils ont bien compris qu’un « gadget tech » ne suffira pas à résoudre un tel problème. C’est un changement de modèle auquel ils aspirent, autrement dit, une réponse à la hauteur de l’enjeu.

Usine de Lindbäcks à Haraholmen (Suède)

Alors, le hors-site c’est quoi ? À défaut d’en avoir une définition standard et partagée, tout le monde lui a donné une définition un peu empirique, le considérant comme la version moderne et actuelle de la préfabrication des années 1950 à 1970, ou encore une version étendue des bâtiments modulaires temporaires. C’est un réflexe habituel et bien naturel, car quand c’est nouveau et en rupture, en l’absence de définition normée, chacun puise dans son propre référentiel de choses et d’images connues. Le souvenir des établissements scolaires industrialisés des années 1970, celui de la France des pavillons et l’essor des lotissements de maisons individuelles sont une bonne référence sur le fond et la méthodologie, car les concepteurs de l’époque étaient obsédés par l’amélioration du coût de revient, la standardisation des tâches et des éléments, avec l’analyse fonctionnelle et la valeur comme carnet de chantier. Mais quelle mauvaise référence tant ces constructions ne sont pas adaptées aux standards de consommation, aux aspirations de confort, de cadre de vie et de sécurité d’aujourd’hui! Et pourtant, la préfabrication est bien un sous-ensemble du hors-site : dans les deux cas, c’est d’amélioration de la productivité dont nous parlons.

Peu osent le dire, car c’est politiquement incorrect : la productivité du secteur du bâtiment a baissé ces vingt dernières années! Mais la productivité, c’est quoi ? Là encore, on manque d’une définition propre au secteur. L’approche la plus juste serait de considérer le quotient de la valeur ajoutée sur le nombre d’heures travaillées pour faire un ouvrage ou un bâtiment. Cette approche fait consensus dans le monde économique et permet de comparer les secteurs entre eux. On comprend bien que l’amélioration du quotient est d’autant plus rapide que la valeur créée par le numérateur augmente et que celle du dénominateur du coût du travail diminue, et en même temps. Le hors-site consiste bien à transférer des tâches à forte main-d’œuvre réalisées sur chantier vers des tâches avec moins de main-d’œuvre réalisées en atelier, tout en répondant aux standards réglementaires et aux exigences sociétales. Il existe de nombreux exemples, au point qu’on ne les voit plus : le bloc-baie motorisé, la fenêtre prête à poser, les murs rideaux, l’escalier ou le plancher béton préfabriqué, la plaque de plâtre, la charpente industrialisée, etc. En fait, l’industrie du bâtiment n’a cessé ces cinquante dernières années d’essayer de transférer de la valeur du chantier à l’atelier : cela a permis de répondre à la demande du marché en volume et d’améliorer considérablement la performance, la qualité des ouvrages et la sécurité.

 Le hors-site consiste bien à transférer
des tâches à forte main-d’œuvre
réalisées sur chantier vers des tâches
avec moins de main-d’œuvre
réalisées en atelier, tout en répondant
aux standards réglementaires et
aux exigences sociétales. 

Mais ce sont des améliorations incrémentales sur des composants ou des produits, plus rarement sur des systèmes complets et des bâtiments dans leur ensemble. Donc la recherche d’amélioration des coûts et des fonctionnalités a toujours existé dans le secteur, par l’industrialisation des produits, des matériaux. Mais sur le coût complet d’un bâtiment, où en sommes nous ? En fait, le hors-site comme nouvelle méthode progresse très vite et prend des parts de marché par rapport aux approches traditionnelles : près d’un tiers des décideurs¹ du secteur s’y sont intéressés ou l’ont initié l’année dernière. Les professionnels ont bien compris son intérêt : ils commencent à utiliser des composants, des systèmes simples préfabriqués ou des panneaux 2D en majorité et, dans certains cas, des modules 3D. Nous en sommes au stade des premières expérimentations, de l’apprentissage : la part de marché du hors-site ne dépasse pas 1 million de m² de surface de plancher. C’est peu, mais tout le monde en parle, car le secteur est dans une telle impasse à moyen terme que toute solution est la bienvenue et que contrairement aux idées reçues, les professionnels du bâtiment sont des gens innovants.

Alors, depuis quatre ans, il règne une vraie effervescence et une fascination autour du hors-site, tout le monde a envie d’y croire, au point que l’on prête à cette nouvelle méthode toutes les vertus. On entend ainsi que « le hors-site permettra de massifier la rénovation », ou que « grâce au hors-site je passe la RE2020 ». C’était à peu près la même chose il y a dix ans avec le BIM qui était LA solution à tous les chantiers, à tous les projets. Cette effervescence est en soi une bonne chose, car elle est la représentation de la première phase de la courbe de maturité, celle des pionniers, celle qui génère beaucoup d’innovations, de tests et d’expérimentations. Pour le secteur du bâtiment, concentré et déterminé à résoudre son équation de décarbonation compétitive, il y a tellement à faire, et vite, qu’avoir le hors-site comme piste de solution est en soi une bonne chose, voire salvateur.

Pour autant, nous sommes loin du compte. On recense quelques acteurs capables de livrer des modules entiers sur des opérations ponctuelles d’hôtellerie, de scolaire ou de logement collectif ; il y a beaucoup de projets en cours pour construire des ateliers, des projets d’usines, mais qui peinent à trouver des investisseurs. D’autres encore portés par des start-ups early stage² en passe de livrer un premier bâtiment. Tous ces projets innovants, parfois de grande qualité, cherchent une accélération et une impulsion, celle de la demande. Mais rien n’est à l’échelle, tout le monde s’observe avant de basculer. La prise de risque peut être un obstacle!

¹ Baromètre de la construction hors-site 2022.
² Le terme « early stage » regroupe toutes les start-ups et projets qui en sont au stade de leur première levée de fonds.

Usine de Lindbäcks à Haraholmen (Suède)

Le développement du hors-site passera par l’augmentation de la taille des lots, comme dans n’importe quel projet industriel. Il doit franchir un cap, celui de la maturité, passer de la période d’émulation et d’innovation tous azimuts, qui ressemble parfois à de la science-fiction, à l’âge de raison et de pragmatisme. La bonne nouvelle, c’est que les retours d’expérience sont positifs, les pionniers constatent, dans les premiers projets, l’amélioration de la performance autour du triptyque prix-qualité-délai, auquel s’ajoute le Cde carbone, tant les bénéfices sur l’empreinte carbone sont nombreux. La part de marché du hors-site augmente, même sur les projets plus modestes de moins de 1000m² de plancher. Nous sommes au point de bascule : il est très probable que cette technologie prendra une part de marché de 10 à 20 % dans les projets de construction neuve dans les trois prochaines années.

 Le hors-site doit franchir
un cap, celui de la maturité,
passer de la période
d’émulation et d’innovation
tous azimuts, qui ressemble
parfois à de la science-
fiction, à l’âge de raison et
de pragmatisme.

Le hors-site est une Méthode moderne de construction (MMC). Il englobe toutes les approches permettant la modernisation du secteur, c’est-à-dire la réussite de sa décarbonation compétitive. Le champ est vaste : de la conception à la supply chain, tous les professionnels peuvent y trouver des gisements de productivité, de l’assemblage de composants ou de systèmes jusqu’à des éléments de construction complets. Le hors-site, ou Méthode moderne de construction, est la meilleure chose qui soit arrivée au secteur du bâtiment depuis vingt-cinq ans. Il permettra aux acteurs de se projeter dans le XXIe siècle.

C’est le moment de faire savoir que « ça marche » par la communication positive et pragmatique des expérimentations, c’est une opportunité pour accompagner les acteurs dans le changement, c’est le moment pour toute initiative permettant de stimuler la demande publique comme privée. L’année 2023 sera probablement charnière pour les acteurs du hors-site.