Charlotte Perriand, artiste frondeuse
Architecture nomade. Accès aux loisirs et aux vacances pour tous. Préfabrication. Fonctionnalité. Écologie. Charlotte Perriand, frondeuse au milieu des hommes, pionnière de la modernité a anticipé les transformations sociétales contemporaines.
À l’instar de Camille Claudel face à Rodin, Charlotte Perriand (1903-1999), figure majeure du design et de l’architecture du XXe siècle, a vécu en partie dans l’ombre de Le Corbusier. De nombreux ouvrages, dont celui de Laure Adler, et des expositions rétrospectives comme celles, entre autres, du Centre Pompidou (2009) et de la Fondation Louis Vuitton (2019) ont réparé cette vision biaisée de l’histoire. Ses recherches conduites sur l’habitat minimum, les maisons de week-end et les refuges de montagne vont faire suite à la création d’un mobilier incarnant le mouvement, un thème cher à l’artiste.
En 1933, lors du 3e Congrès international d’architecture moderne (CIAM), émergent 4 thèmes novateurs : rendement maximal, modularité, concept de zones et préfabrication des éléments. Le concours organisé en 1934 par Paul Breton, en collaboration avec la revue L’Architecture d’Aujourd’hui porte sur « la maison de week-end » qui doit pouvoir accueillir les parents, trois enfants et deux invités. La structure doit être légère et aisément démontable. Les meilleurs projets sont exposés à la 2e Exposition de l’Habitation en 1935.
La « Maison de week-end » de Charlotte Perriand reflète son engagement dans un nouvel art de vivre via l’extrême modularité de l’architecture. Il s’agit d’une grande tente de bois et de métal posée sur une plateforme à 50cm du sol, comprenant plusieurs cellules de 9 m2, juxtaposables les unes aux autres. Elle met à jour le concept de « zonage », expérimenté déjà avec Le Corbusier : des cloisons coulissantes pour diviser harmonieusement l’appartement selon les attentes de ces occupants.
L’AMOUR DE LA MONTAGNE ET DU JAPON
L’illustre Savoyarde a marqué de son empreinte le patrimoine du ski alpin. Elle signe la construction d’un refuge d’altitude, concentré de préfabrication : Le refuge bivouac, situé près de Megève. Autour d’une ossature métallique tubulaire sont disposés des éléments préfabriqués, légers, peu coûteux, en aluminium. Une petite habitation sur pilotis, démontable, avec également un intérieur facilement transformable qui n’a nécessité que 4 jours de montage.
Par la suite, le refuge tonneau (1938), inspiré d’un carrousel à la structure constructive en parasol, et pourtant plus abouti, n’est resté qu’à l’état de maquette ; la guerre ayant stoppé net sa réalisation. Pensée pour être préfabriquée en usine avec des panneaux isolants d’aluminium et de contreplaqué, cette structure compacte, portable à dos d’homme, aurait assuré un montage facile en pleine montagne. Écologique avant l’heure, un récupérateur de neige aurait pu servir à l’approvisionnement en eau. Cette pièce de musée aux allures de fusée sera construite fidèlement à plusieurs reprises pour diverses expositions. L’influence nippone de Charlotte Perriand s’infuse dans la réalisation de son propre chalet (1961) à Méribel ; le Japon où elle a séjourné lui a inspiré, par exemple, l’usage du bambou, les parois coulissantes et les tatamis. Avec une manière de segmenter l’espace qui parcourt toute son œuvre. La montagne est pour elle un terreau fertile qui ne doit jamais être dénaturé.
En 1967, elle se consacre au dessin de la station les Arcs 1600 avec le souci de relier les hommes à la nature. La Résidence La Cascade aux façade décalées et obliques est entièrement tournée vers le soleil, épouse la pente et abrite des appartements standardisés, dans une logique de réduction de coût. En 1975, aux Arcs 1800, elle peaufine ce modèle, avec des salles de bain préfabriquées, composées de deux coques de polyester assemblées en usine encore intactes aujourd’hui. Principe de l’espace modulable, élargi en 1988 aux cuisines préfabriquées pour l’ensemble des petits immeubles de la Résidence Aiguille Grive II.
En 1993, la place qu’elle accorde à la nature et au Japon se manifeste sous la forme d’une somptueuse maison de thé éphémère en bois de sapin, réalisée pour l’Unesco. Ce lieu de méditation, sans fondations, est recouvert d’une corolle circulaire en mylar, un film de polyester connu pour sa résistance thermique et ses propriétés isolantes. En 2013, les plans de « La maison au bord de l’eau » ont été exhumés par Louis Vuitton, pour lui donner vie le long de Miami Beach (États-Unis), dans le cadre de la foire d’art contemporain Art Basel Miami Beach. Fait notable, Charlotte Perriand a imaginé cette maison préfabriquée, destinée aux familles ouvrières, 2 ans avant le Front Populaire. En bois, élevé sur des pilotis, cet espace de 70 m2 organisés autour d’une pièce à vivre est accessible par une rampe à l’arrière. Des portes coulissantes en verre à la japonaise, l’une des signatures de l’artiste, rythment l’intérieur. Au centre, une voile tendue recueille l’eau de pluie dans un pot de fleurs.
Comme chacun sait, l’œuvre visionnaire de Charlotte Perriand ne se cantonne pas à l’architecture, elle a fait proprement dit « bouger les lignes du design » en inventant le concept du mouvement. Sujet sur lequel nous reviendrons dans un futur numéro.
virginie speight