Les chiffres du baromètre 2023 sur la construction et la rénovation hors-site en France sont clairs. Ils montrent sans hésitation que cette filière innovante n’est plus seulement une alternative, mais une tendance de fond inéluctable. Retour dans le détail sur l’adoption de cette nouvelle pratique chez les décideurs.
Julie-Anne MILLET, associée du groupe HORS SITE et directrice du Campus HORS SITE, première école collaborative française dédiée à la construction et à la rénovation industrialisées hors-site.
La construction/rénovation hors-site s’affirme en 2023 comme un secteur en croissance en France, avec une augmentation significative du nombre de projets réalisés selon cette approche. Le baromètre annuel de la construction hors-site, créé en 2021 par BATIMAT, le Campus HORS SITE et l’ACIM, dresse un portrait détaillé des attentes, des comportements et des usages des acteurs de la maîtrise d’œuvre et de la maîtrise d’ouvrage de cette approche innovante. Cette étude s’avère un outil stratégique pour les décideurs en quête de solutions nouvelles pour répondre aux défis contemporains de la construction. Un peu plus de 1 100 interlocuteurs ont répondu au questionnaire en 2023, contre 400 en 2022, ce qui montre l’engouement inédit pour ces nouvelles méthodes de construction. Les répondants sont à 78 % des décideurs issus de la maîtrise d’ouvrage et de la maîtrise d’œuvre, donc considérés comme des « prescripteurs » de hors-site. La part des utilisateurs de hors-site, parmi les répondants, s’élève à 44 %, ce qui constitue une hausse significative par rapport à 2022 où elle s’établissait à 31 %.
Une réponse efficace face aux grands défis du secteur
Qu’ils aient déjà expérimenté ou non du hors-site, les sondés voient dans ces nouvelles méthodes de construction des solutions pertinentes aux problématiques qu’ils rencontrent sur leurs opérations. Les avantages perçus sont multiples. Par mieux, quatre sont considérés comme absolument majeurs : Réduction des délais de construction : 90 % des répondants soulignent que la construction hors-site permet de réduire significativement les délais, grâce à la préfabrication des éléments en usine (contre 85 % en 2022). Réduction de l’impact environnemental : 81 % des répondants, contre 74 % en 2022, estiment que la construction hors-site contribue à réduire l’impact environnemental de leurs opérations. La construction hors-site s’inscrit dans une démarche de développement durable, un critère devenu central dans la planification des projets immobiliers. Maîtrise des coûts : 77 % des répondants indiquent que cette méthode permet de mieux maîtriser les coûts, en limitant notamment les aléas des chantiers traditionnels. Qualité : un autre avantage mis en avant par 75 % des répondants est la qualité des constructions réalisées en hors-site.
Des utilisateurs convaincus mais conscients des défis à relever
Pour les utilisateurs de la construction hors-site, les panneaux 2D dominent le marché avec 60 % d’adoption, suivis par le modulaire 3D, utilisé par 45 % des répondants. Cependant, des freins subsistent : des coûts jugés élevés (57 %), des connaissances encore limitées sur le hors-site (50 %) mais surtout un manque de compétences disponibles (52 %). En 2023, des changements notables ont été observés dans la typologie de bâtiments construits selon cette méthode : les logements collectifs, qui figuraient en troisième position en 2022, sont désormais en tête avec 45 %, tandis que les maisons individuelles reculent à la deuxième place. En termes de surface SHON, les opérations de moins de 1000 m² restent en tête (41 %) malgré une baisse vs 2022 (-7points). On note une belle progression des opérations entre 1000 et 3000 m² (+7points). Les utilisateurs anticipent une augmentation des projets hors-site dans leur carnet de commande avec une majorité de logements collectifs (59 %, soit +9 % par rapport à 2022) et de résidences gérées (44 %, soit +9 % par rapport à 2022). Les établissements scolaires (42 %, +19 points par rapport à 2022) semblent également ciblés.
Les non-utilisateurs : entre intérêt et questionnement
Pour les non-utilisateurs du hors-site, le frein le plus cité (78 %) concernant l’adoption de cette méthode est le manque de formation des acteurs. S’y ajoutent le manque de visibilité sur la réglementation, l’insuffisance d’entreprises spécialisées sur le territoire, la méconnaissance des solutions existantes, et des coûts perçus comme plus élevés. Malgré ces obstacles, 68 % des non-utilisateurs envisagent d’adopter le hors-site à l’avenir, résultat quasi constant par rapport à 2022. Apporter la preuve que les projets en construction hors-site réduisent les coûts par rapport à la construction traditionnelle et favorisent l’amélioration de la rentabilité représentent des arguments de persuasion pour passer à l’action. 64 % des non-utilisateurs anticipent une croissance du hors-site en France. Les logements collectifs sont identifiés comme le principal secteur de développement (66 %), suivis par les maisons individuelles. En termes de catégories, les panneaux 2D dominent les préférences des non-utilisateurs.
Focus sur la rénovation énergétique industrialisée : une adoption encore timide mais en progression
Seulement 14 % des répondants ont déclaré avoir participé à des opérations de rénovation énergétique industrialisée, une part en légère progression par rapport à 2022 (+4points). Ces initiatives se concentrent principalement sur les logements collectifs et les maisons individuelles. Parmi ceux ayant opté pour ce type de rénovation, 39 % ont adopté la méthode Energiesprong E=0, tandis que 23 % ont choisi une approche compatible Energiesprong. Ces rénovations ont permis à près de la moitié des participants de réaliser une économie énergétique significative, avec une amélioration du diagnostic de performance énergétique (DPE) de 4 à 7classes.
Comment dépasser les freins à l’adoption de la construction/rénovation hors-site ?
Les résultats du baromètre 2023 soulèvent une problématique centrale : comment surmonter davantage les freins à l’adoption de la construction hors-site en France à l’avenir ? Cette question reste d’autant plus cruciale que les bénéfices potentiels de cette méthode sont largement reconnus par ses utilisateurs, et donnent envie aux non-utilisateurs de se lancer.
Une question de communication et de formation
Renforcer l’information qualifiée : la méconnaissance de la construction hors-site parmi les non-utilisateurs souligne un besoin crucial de communication et de sensibilisation. Des campagnes d’information ciblées, des études de cas et des témoignages d’utilisateurs peuvent aider à dissiper les craintes et à mettre en valeur les potentialités de ces nouveaux modes constructifs. Massifier la professionnalisation des acteurs : 78 % des non-utilisateurs déclarent que l’un des principaux obstacles à l’adoption de la construction hors-site se traduit par le manque de formation des équipes. Pour surmonter ce frein, il paraît essentiel de développer des programmes de formation continue et des séminaires spécialisés qui abordent les aspects pratiques, économiques, techniques et assurantiels de la construction hors-site.
Faciliter l’accès aux financements et aux technologies
Assurer un soutien financier : le coût élevé représente un frein important pour les acteurs. Des dispositifs de financement spécifiques, telles des subventions ou des prêts à taux préférentiels, peuvent encourager les entreprises à franchir le pas. De plus, la mise en avant des économies réalisées à long terme sont en mesure de convaincre les sceptiques du retour sur investissement de la construction hors-site. Accompagner l’acquisition technologique : l’incertitude face à l’innovation technologique serait très certainement atténuée par un accompagnement plus structuré des entreprises dans leur transition vers la construction hors-site. Des partenariats avec des fournisseurs de technologies, des agences de développement ou des organismes patronaux, des incitations fiscales pour les investissements technologiques, ou encore des formations techniques adaptées sont des pistes à explorer.
Valoriser les réussites et les innovations
Promouvoir les bonnes pratiques : mettre en lumière les projets réussis de construction hors-site, tant en termes de qualité que de performance économique, servirait de modèle et encouragerait les entreprises à s’engager dans cette voie. Les non-utilisateurs, en prenant connaissance d’exemples concrets, seraient plus enclins à se lancer. Encourager l’innovation continue : la construction hors-site se vit comme un domaine en constante évolution, où les innovations technologiques et méthodologiques jouent un rôle clé. En encourageant les entreprises à investir dans la R&D et en facilitant l’accès aux dernières innovations, il est possible de stimuler une adoption plus large et plus rapide de cette méthode.
Une dynamique soutenue par les politiques publiques
Comme dans tous les domaines innovants, les politiques publiques jouent un rôle clé dans le développement de la construction hors-site en France. En janvier 2021, un rapport sur « L’industrialisation de la construction » publié par le ministère du Logement encourageait déjà le développement de nouvelles méthodes constructives plus durables et plus efficaces, comme le hors-site. À sa suite, le gouvernement a lancé plusieurs initiatives pour encourager l’innovation dans le secteur de la construction, notamment dans le cadre du Plan de Relance et du programme France 2030 (notamment avec l’appel à projets pour le développement de la construction/rénovation hors-site CRHOS) . Plus récemment et dans sa déclaration du 14 février 2024, à Villejuif (Val-de-Marne), sur l’accélération de la construction de logements, le Premier ministre d’alors, Gabriel Attal, a encouragé la systématisation du recours au hors-site dans la production des logements.
Les perspectives : un avenir prometteur pour la construction hors-site en France
Le baromètre 2023 dessine clairement un avenir où la construction hors-site, soutenue par les avantages économiques, environnementaux et sociétaux qu’elle offre, pourrait devenir une norme plutôt qu’une exception, une vraie réponse à la crise du logement. Cependant, pour que cette transition s’opère, il est nécessaire de répondre aux attentes des acteurs tout en capitalisant sur les réussites déjà observées.
Les décideurs, qu’ils soient issus de la maîtrise d’œuvre ou de la maîtrise d’ouvrage, semblent de plus en plus convaincus des bénéfices de la construction hors-site. Les politiques publiques, combinées aux innovations technologiques et à l’industrialisation du secteur, vont continuer à favoriser son développement dans les années à venir. Toutefois, sans une montée en compétences généralisée, le hors-site risque de ne pas atteindre son plein potentiel. Le hors-site requiert en effet une expertise pointue en industrialisation, assemblage et gestion de projets complexes, alors que les acteurs du secteur peinent à suivre le rythme de cette évolution. La professionnalisation de cette nouvelle filière devient une priorité.