Cette capsule temporelle est le précurseur de lʼhabitat mobile et éphémère. Elle répond au doux nom de Tétrodon, un projet expérimental du début des années 1970, porteur dʼune vision futuriste de lʼarchitecture modulaire. Construction légère, fruit de lʼimagination des architectes Henri Ciriani, Jacques Berce et Annie Tribel-Heinz de lʼAtelier dʼUrbanisme et dʼArchitecture (AUA), elle devait loger rapidement les travailleurs sur des sites isolés. Las, le beau rêve nʼexista que quelque temps. Retour sur une utopie… qui a beaucoup à nous apprendre.


Au détour dʼune route, entre garrigue et installations industrielles, une construction singulière, sorte de monolithe arrondi, attire l’attention. Certains connaissent son histoire et son nom : le Tétrodon. Symbole des innovations architecturales des années 1960-70, conçu par les architectes Henri Ciriani, Jacques Berce et Annie Tribel-Heinz de lʼAtelier dʼUrbanisme et dʼArchitecture (AUA), ce vestige inconnu incarne une période bénie où lʼarchitecture explorait les limites de la modularité, de la mobilité et du plastique. À la fois innovation technologique et utopie sociale, cette capsule habitable raconte à elle seule lʼesprit des Trente Glorieuses, époque de foi inébranlable en la modernité. Destinée à loger efficacement et rapidement les travailleurs, notamment sur des sites isolés, elle sʼinscrivait dans un mouvement plus large dʼarchitecture expérimentale. Sur le modèle des bulles de Jean Maneval ou des capsules dʼArchigram, elle explorait les concepts dʼhabitat léger et éphémère. Présenté en 1971 dans la cour du Louvre, le prototype suscita la curiosité et lʼadmiration, il témoignait dʼune ambition : réinventer lʼhabitat pour une société en pleine mutation. Plus concrètement, le Tétrodon visait dʼabord à répondre aux besoins des grands projets industriels. À Fos-sur-Mer (Bouches-du-Rhône), dans un contexte de développement économique frénétique, ses module sont servi de logements provisoires pour les ouvriers de la Sonacotra qui construisaient lʼusine sidérurgique de Solmer. Mais la crise pétrolière des années 1970 freina lʼélan de ces projets. Jugé trop fragile ou coûteux, le Tétrodon fut peu à peu relégué à des usages secondaires : bureau, cabane de gardien ou logement touristique…
Poisson-coffre de métal et plastique
Lʼarchitecture du Tétrodon sʼinspire de son homonyme marin, le poisson-coffre, capable de se gonfler pour augmenter son volume. Inspirés des conteneurs maritimes standardisés, très marqués par le design et la croyance dans le progrès des années 1970, ces modules allient structure métallique et coques fonctionnelles en plastique renforcé, offrant une grande modularité. Chaque module, souvent de couleur vive, assemblé avec soin, abritait des espaces distincts : sommeil, cuisine, sanitaire. Les portes étaient arrondies, les éclairages intégrés et les matériaux résistants. Mobile, le Tétrodon se démontait facilement, prêt à être transporté par camion, train ou avion, sʼadaptant aux besoins changeants de ses occupants. Des atouts que ne renierait pas la construction horssite dʼaujourdʼhui.
Longtemps oublié, le Tétrodon suscite aujourdʼhui un regain dʼintérêt. Des associations, telle Par ce passage infranchi (pour la promotion des pratiques artistiques contemporaines), sʼintéressent à sa préservation. À Fos-sur-Mer, un exemplaire a été sauvé. Identifié comme un prototype de 10 mètres produit par lʼentreprise Barbot, il est restauré avec le soutien de lʼassociation, des collectivités locales et du loto du patrimoine. Ce témoin des utopies architecturales des années 1970 est désormais installé sur les berges de lʼétang de Berre, où il accueille expositions, résidences dʼartistes et ateliers.
De son côté, Cyril Moussart, président de Module M, en a récemment acquis un exemplaire et lʼa fait transporter sur le site de son entreprise. « Cela fait plusieurs années que je cherche des objets en lien avec notre activité », explique-t-il. Conçu en 1971, le module nécessite une restauration. « Lʼobjectif est de le remettre au goût du jour pour, à terme, le transformer en salle de réunion.» Il sʼagit aussi de sʼen inspirer pour les créations de Module M : « Cette architecture des années 1970 est intéressante pour nous, constructeurs de modules, notamment pour la personnalisation quʼelle permet sur une base commune, selon les besoins et les usages. » Cyril Moussart souligne cependant que si le Tétrodon présente des atouts, il nʼest pas sans défauts : « Le confort thermique, que ce soit en hiver ou en été, nʼest pas adapté aux exigences actuelles.» Lʼexemplaire quʼil a acquis, utilisé dans un camping ombragé au Cap Ferret, illustre bien ces limites : « Avec lʼombre des arbres, ça fonctionne, mais sur un parking en plein été, ce nʼest pas idéal.
Stéphane Miget