Genèse de la construction hors-site #9

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La préfabrication

« L’une des plus anciennes nouvelles idées en architecture. »

Maison prototype avec noyau central sur socle en béton.
Jean Prouvé (1956)

À Montréal, au Canada, le Centre de design de l’UQAM¹ a présenté jusqu’en janvier 2023 l’exposition Architectures en production, visées de la préfabrication. L’occasion de proposer une rétrospective et de porter un regard analytique sur ce que certain sont appelé « l’une des plus anciennes nouvelles idées en architecture ». De la simple préfabrication d’éléments aux systèmes industrialisés très complexes, en passant par la construction hors-site, l’architecture d’aujourd’hui est stimulée par la numérisation avancée. Tous ces concepts visent une même finalité : la préparation de composantes et de sous-ensembles reproductibles dans un environnement contrôlé avant d’être utilisés dans la réalisation d’un bâtiment.

LA PRÉFABRICATION : UN MODÈLE DÉCRIÉ OU VISIONNAIRE ?

Si elle est parfois critiquée pour ses modèles standardisés et répétitifs, la préfabrication attire grâce à son potentiel à accroître la productivité et la qualité des bâtiments, tout en condensant les échéanciers et en réduisant les coûts. Mais surtout, la préfabrication a alimenté le désir de nouveauté architecturale du modernisme, notamment avec les architectes Konrad Wachsmann et Walter Gropius, fondateur du Bauhaus, qui l’ont utilisée pour produire des maisons en série. Grâce à la préfabrication, les architectes japonais Kisho Kurokawaet Arata Isozaki ont pu, quant à eux, empiler des capsules mobiles habitables dans des cités aériennes. Citons encore les projets prospectifs comme Habitat 67 de l’architecte Moshe Safdie. Idéalisée par les architectes, elle a produit certaines des visions les plus passionnantes, puissantes et ambitieuses de la discipline. Et aujourd’hui, l’application de la fabrication additive et numérique renouvelle la quête de fabrication de l’avenir de l’architecture. Il existe de nombreuses façons d’envisager la préfabrication : fabricants, inventeurs, designers industriels, architectes, ingénieurs, constructeurs et artisans, tous ont développé des façons de faire uniques quant à la construction en usine. Si certains y voient une opportunité pour résoudre certaines problématiques comme les crises du logement ou la stagnation de la productivité du secteur, d’autres la perçoivent comme une menace pour la créativité et le caractère distinctif de l’architecture.

Architectures en production, visées de la préfabrication a examiné la construction hors-site comme un pont entre les domaines rivaux de l’architecture et du bâtiment industrialisé.

MAISON DES JOURS MEILLEURS

« Jean Prouvé a élevé sur le quai Alexandre III la plus belle maison que je connaisse : le plus parfait moyen d’habitation, la plus étincelante chose construite. Et tout cela est en vrai, bâti, réalisé, conclusion d’une vie de recherches. Et c’est l’abbé Pierre qui la lui a commandée! » s’exclame Le Corbusier après sa visite du prototype exposé à Paris en février 1956. Baptisée « Maison des jours meilleurs », elle résume parfaitement la conception de Prouvé, à savoir un habitat individuel industrialisé durable, léger, économique et confortable, tel qu’il l’expérimente depuis presque vingt ans. Elle repose sur un concept créé en 1952 dans son usine de Maxéville, avec l’architecte Maurice Silvy : sur le soubassement en béton formant une cuvette vient se poser un bloc central, préfabriqué en acier, abritant la cuisine et les pièces d’eau et qui, supportant une poutre en tôle pliée, forme l’ossature porteuse. L’enveloppe est constituée de panneaux-sandwichs en bois thermoformé et de la couverture de bacs d’aluminium dont le prolongement forme l’auvent. L’accueil du grand public est à la mesure de l’enthousiasme des architectes. Mais cette maison de 57m2, montée en seulement sept heures, devait être trop révolutionnaire pour son époque et n’obtiendra pas les agréments officiels pour une production en série. Seuls cinq exemplaires au total seront fabriqués.(source : galerie Patrick Seguin).

¹ Conseil de recherches en sciences
humaines du Canada, École de design
de l’UQAM, pre[FABRICA]tions, Mp,
v2com et Centre de design de l’UQAM

La construction hors-site, un pont entre les domaines rivaux de l’architecture et du bâtiment industrialisé.

Composantes et systèmes d’une maison préfabriquée en acier émaillé. Carl Gunnar Strandlund (1947)

MAISON LUSTRON

Imaginée par l’industriel et inventeur américain Carl Gunnar Strandlund en1947, la maison Lustron a été pensée pour être produite en masse. Dédiée notamment aux anciens combattants de la Seconde Guerre mondiale, elle est fabriquée en tôle d’acier pliée à froid – à l’époque, une première dans le bâtiment. La charpente, les finitions, les armoires et les meubles, tout était conçu en tôle émaillée. L’usine disposait de lignes automatisées de convoyeurs et comptait onze fours d’émaillage. Une maison complète était composée d’environ 3300 pièces individuelles et était chargée sur une seule remorque. Les camions livraient ensuite l’ensemble sur le site de construction, pour l’assemblage.

Procédé de construction pour panneaux en béton armé. Raymond Camus – FR brevet 1009676 (1954).

LE PROCÉDÉ CAMUS

Pour la reconstruction du Havre après-guerre, l’ingénieur français Raymond Camusa mis au point des panneaux préfabriqués en béton. Révolutionnaires à l’époque, ces panneaux prêts à poser intègrent les éléments de second œuvre : tuyauteries, gaines, colonnes sèches, fenêtres, portes…Ils autorisent une mise en œuvre plus rapide avec moins d’ouvriers. En raison de leurs qualités, mais aussi pour des questions économiques, le procédé connaît un succès sans pareil, jusqu’en URSS

Stéphane Miget