Géopolitique du bois

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ÉCLAIRAGE
par Alain Karsenty, Économiste et Chercheur au Cirad
PROPOS RECUEILLIS PAR VIRGINIE SPEIGHT

VIRGINIE SPEIGHT. En France, les constructeurs principaux du secteur des charpentes et structures bois déplorent que les approvisionnements soient en flux tendu et en puissent garantir les délais de livraison. Quelles sont les raisons de ces fortes tensions liées à la pénurie du bois et à la flambée des prix ?

ALAIN KARSENTY.  Toutes les matières premières connaissent une forte demande liée à la forte reprise économique non seulement en Chine mais aussi en Europe et aux USA. Les taux de croissance de l’économie bondissent à des niveaux deux fois supérieurs à ceux observés les dernières années, donc les tensions sont inévitables. Il est vrai que le bois d’œuvre augment plus que d’autres matières premières. L’énorme épargne accumulée pendant la pandémie, notamment par les Français, est en parie réinvestie dans la rénovation des habitats individuels (parquets, structures en bois…). Du côté de l’offre, les activités de récolte et de scierie ont parfois été perturbées par la situation sanitaire, et la remise en route prend du temps. Entretemps, les stocks ont diminué, et la spéculation à la hausse des prix a sans doute joué également son rôle. À cela s’ajoute la demande croissante pour insérer du bois dans la construction non résidentielle afin de réduire l’empreinte carbone. Les prix ne vont pas rester aussi hauts qu’actuellement mais à moyen terme la demande et donc les prix vont rester soutenus.

V.S. Ce n’est pourtant pas la ressource en forêt qui manque, c’est assez paradoxal, vous ne trouvez pas ?

A.K. Sauf qu’en France, la ressource est difficilement mobilisable à grande échelle du fait de l’émiettement de la propriété forestière, ce qui influe sur les coûts de production et la compétitivité de la filière. En outre, les peuplements sont dominés par les feuillus, alors que les usines privilégient les résineux. D’où des importations des pays scandinaves… Il y a un besoin d’investissement dans les unités de transformation pour valoriser la diversité des essences feuillues françaises.

V.S. Les propriétaires fonciers ne sont guère incités à vendre en France étant donné que les prix pratiqués sont de 20% à 50% au dessous des prix moyens européens. L’Europe a-t-elle un rôle à jouer ?

(Suite de l’interview dans le magazine N°14)