LA CONSTRUCTION DES POSSIBLES

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SÉQUENCE INTERVIEW

Robin Rivaton, essayiste, économiste,
VC investor | Smart City, Proptech & Real Estate

VIRGINIE SPEIGHT. Si on regarde dans le rétroviseur, quelles sont les étapes clés de votre parcours professionnel ? À quoi est liée votre appétence pour le monde de la construction ?

ROBIN RIVATON. J’ai eu la chance de travailler dans différents secteurs depuis le conseil en stratégie jusqu’à l’investissement dans l’immobilier et les nouvelles technologies. Aujourd’hui, j’investis dans des entreprises de croissance dans le domaine de la smart city, qui recouvre dans notre perspective, la mobilité, l’énergie et le bâtiment dont la construction. C’est par ce biais-là que je suis exposé à des centaines d’entrepreneurs qui ambitionnent de faire évoluer la façon de construire. Dans le même temps, siégeant au conseil d’administration de plusieurs promoteurs immobiliers, je peux voir leurs difficultés concrètes sur les chantiers.

V.S. Pourriez-vous nous présenter Real Estech, ainsi que votre partenaire Bernard Michel ?

R.R. J’ai fondé Real Estech avec Vincent Pavanello et Florian Freyssenet en 2016, Bernard Michel acceptant d’en prendre la présidence en 2017, un engagement dont je le remercie encore. L’idée est de créer une association rassemblant tous les acteurs souhaitant favoriser l’innovation dans le secteur de l’immobilier et de la construction. Avec plus d’une cinquantaine d’évènements rassemblant plus de 5 000 personnes, de études de référence comme le baromètre des start-up de l’immobilier et de la construction, des études avec des cabinets comme PwC ou KPMG, nous pouvons nous dire que nous avons réellement participé à structurer la vague d’innovation dans l’immobilier en France. Depuis de nombreuses autres initiative sont émergé et c’est très bien.

V.S. Vous avez été chargé en 2019 par Julien Denormandie, à l’époque Ministre du Logement, d’une mission pour accompagner la transformation numérique de la construction et de l’immobilier, pourquoi avoir attendu 2021 pour le publier ?

R.R. Ayant conscience du rayonnement de Real Estech au sein de l’industrie de l’immobilier et de la construction, le ministre du Logement Julien Denormandie nous a fait l’honneur en décembre2018 de nous commander une mission d’information, bénévole je précise, sur la façon dont l’innovation allait impacter la filière telle que nous la connaissions. Nous avions identifié plusieurs innovations et avons travaillé en priorité sur la question de la construction industrialisée. Une première version du rapport a été remise lors de Batimat en novembre 2019 puis la crise sanitaire et le remaniement passant par là, la version finale n’a été publiée qu’en mars 2021 à la demande de la nouvelle ministre du Logement, Emmanuelle Wargon.

V.S. Votre rapport sur la construction industrialisée / hors-site fait écho avec les nombreux questionnements sur «le monde d’après», le BTP doit-il se saisir des problématiques engendrées par la crise sanitaire, économique, sociale et écologique que nous traversons ?

R.R. L’immobilier est au cœur de nos sociétés. La construction parce qu’elle assure le renouvellement et la croissance du parc de logement et de bureaux aussi. Elle est en outre un gros pourvoyeur d’emplois de toute nature, répartis sur le territoire. La responsabilité économique et sociale du BTP est donc immense. La relance après la crise sanitaire est évidemment une opportunité d’accélérer la modernisation car les problèmes que nous connaissions avant n’auront pas disparu, notamment le premier d’entre eux qui est la difficulté à attirer des ressources humaines. Les pays où des entreprises de construction industrialisée prospèrent sont souvent ceux où ce problème est le plus criant.

V.S. La filière de la construction évolue en ordre dispersé. Pour autant, avez-vous le sentiment que la nécessité de son passage au mode constructif industrialisé est en train de s’infuser peu à peu dans les esprits ?

R.R. Il est normal qu’un secteur aussi gros que celui de la construction ne soit pas traversé par une aspiration unique. Les intérêts sont divergents entre les différents acteurs en fonction d’où ils se situent dans la chaîne de valeur, de leur localisation, de leur spécialisation, des matériaux qu’ils utilisent… La construction industrialisée est encore associée à des traumatismes passés, la préfabrication des années soixante et soixante-dix, et des fantasmes à venir. Je plaide pour la mixité. Mixité des modes constructifs, mixité des matériaux, mixité des usages pour avoir des bâtiments ambitieux en termes de qualité et qui répondent en quantité aux besoins de la population. Je crois qu’un tel discours raisonnable sera susceptible de convaincre une majorité des entrepreneurs du secteur qu’ils soient artisans, fabricants de matériaux, architectes, industriels.

V.S. Les pouvoirs publics français sont-ils en train de faire leur mue et d’envisager une législation visant à favoriser très nettement la construction hors-site à l’instar du gouvernement singapourien ?

R.R. Je ne sais pas si une législation particulière est à l’étude. En tout état de cause, j’espère qu’elle ne sera pas jamais sur le modèle singapourien car la jeune cité État de 6millions d’habitants sous les tropiques n’a pas grand-chose à voir avec un vénérable pays de 67 millions de personnes avec des habitats, des modes constructifs, différents selon les régions. Si une initiative législative devait advenir, le rapport recommande une approche incrémentale qui permet de tirer les bénéfices de la construction industrialisée en créant une filière d’expertise nationale avant que cette réalité ne s’impose à nous par l’importation de sous-composants depuis l’étranger. Si c’est le cas elle passera par des aménagements de la commande publique, du code de la construction mais aussi par une structuration différente de la filière avec un engagement conjoint des ministères de l’économie et du logement.

V.S. Le rapport «Modernize or Die» rédigé par Mark Farmer a-t-il été pour vous une source d’inspiration ?

R.R. Il est certain que le rapport de Mark Farmer commandé par le gouvernement britannique est un modèle du genre par l’impact qu’il a eu ensuite sur la structuration de la filière. J’espère que notre rapport pourra également servir à la prise de conscience que la technologie ne peut être ignorée et que la meilleure façon de limiter la perturbation qu’elle engendre c’est de s’en saisir. Il y a tellement de choses à imaginer plutôt que de brandir la crainte d’usines automatisées financées par des investisseurs avides de rendement. Je pense à une collaboration poussée entre le mode sur site et hors-site, à des ateliers éphémères dits forains où des corps d’état différents peuvent apprendre à apprivoiser les méthodes industrielles, par exemple les méthodes taktées, dans un environnement qu’ils maîtrisent.

V.S. Quel avenir pour la construction 4.0 sur notre territoire ? Quels sont ses freins à l’heure actuelle ?

R.R. Il est utile que je rappelle ce que je définis comme l’industrialisation de la construction. Il s’agit pour moi d’un triangle où vous retrouver la maquette numérique, les méthodes de fabrication optimisées et une logistique efficace. Cette construction industrialisée peut s’imaginer avec des bouts de la chaîne de valeur hors-site et sur site. Il faut se rendre compte qu’elle se diffuse déjà. Je développe longuement l’exemple des fenêtres dans le rapport, auparavant faites sur site par un vitrier maintenant réalisées à la demande dans des usines plus automatisées que jamais. Les freins sont organisationnels. C’est pour cela que les instances et les pouvoirs public sont un réel important à jouer.

V.S. Avons-nous besoin d’un nouveau récit collectif pour réenchanter l’univers de la construction et de l’habitat ?

R.R. La construction neuve est de moins en moins bien vécue. Il suffit de voir la chute des permis de construire en 2020 et ce depuis trois ans. Il est facile d’incriminer les maires mais ils ne font que porter les demandes de leurs administrés. Les raisons de cette hostilité sont multiples. Je pense que les nuisances du chantier sont une explication. Un mode constructif plus rapide, générateur de moins d’externalités négatives en termes de bruit, de répercussions, pourrait générer une plus forte acceptation de la construction neuve.