RENCONTRE AVEC
Marty Corrado, directeur de la construction industrialisée chez Boldt (États-Unis) par Emna Attouri, ingénieure R&D, Bouygues Construction
J’ai rencontré Marty Corrado lors de la dernière conférence IGLC (International Group of Lean Construction) en juillet 2022 à l’université d’Alberta au Canada. C’était à l’occasion d’un workshop qu’il a coanimé sur la préfabrication et le Lean Construction. Pendant ce workshop, Marty a généreusement partagé son retour d’expérience sur le déploiement de différentes solutions industrialisées. Son engagement m’a profondément marquée. C’est pourquoi je l’ai sollicité afin de partager ses connaissances avec la communauté du hors-site en France.
Marty, comment as-tu découvert la construction hors-site ?
Marty Corrado. J’ai passé beaucoup de temps à travailler en tant que chef de chantier sur de grands projets de rénovation d’hôpitaux dans de nombreux États et il y avait tellement de pièces semblables ! J’entrais dans l’une d’elles, j’effectuais les travaux et je faisais la même chose dans les 200 suivantes. C’était vraiment ennuyeux. Ensuite, j’ai travaillé dans le grand hôpital naval de Portsmouth, en Virginie : c’était encore pire. Je me suis dit qu’il devait y avoir une autre façon de faire. J’ai commencé à expérimenter le préassemblage et la préfabrication foraine de quelques composants. Il n’y avait pas de plan officiel ni de directives pour mettre en place une démarche d’industrialisation. Cela se faisait intuitivement. Étonnamment, nombre de suggestions venaient de nos sous-traitants, surtout les plombiers. Puis, j’ai travaillé sur l’hôpital de Miami Valley, dans l’Ohio, avec Skanska, une entreprise qui avait une démarche de préfabrication hors-site (2D, 3D et lots techniques), en particulier pour leurs projets en Europe. Mais la plupart de ces programmes européens n’étaient pas reproduits aux États-Unis. Sur ce projet, j’ai rencontré l’architecte Andrew Quirk, qui a proposé de mettre en place des salles de bains et des gaines techniques préfabriquées dans un atelier à proximité du chantier. Sur ses conseils, je suis allé à Londres pour m’initier auprès de Skanska UK. Cette expérience fut une révélation. Les programmes britanniques de préfabrication étaient tellement en avance comparé à ce qui se pratiquait aux États-Unis.
Liste non exhaustive des composants qu’il est intelligent de préfabriquer selon l’expérience acquise par Marty :
- les réseaux techniques (MEP) horizontaux des couloirs ;
- les salles de bains préfabriquées ;
- les murs de tête de lit ;
- les façades externes ;
- les salles électriques ;
- les colonnes montantes verticales ;
- les cloisons prédécoupées livrées en KIT par zone ;
- les plafonds des salles d’opérations ;
- l’assemblage de tuyauterie pour équipement mécanique…
Résultat du projet Medical City Plano
- 7 % d’économies sur le calendrier. Le projet a été achevé en seize mois au lieu de dix-huit
- les économies de coûts ont été d’environ 9 %. Ce chiffre équivaut à plus de 8millions de dollars qui sont revenus au client
- le pic de main-d’œuvre sur le site était estimé à 400 travailleurs. Grâce à la construction hors-site, le projet n’a jamais dépassé 150 travailleurs au pic de la construction
- 80 % de réduction des RFI (demandes d’informations) et 60 % de réduction des ordres de modification grâce au travail collaboratif réalisé en phase de conception par les différentes parties prenantes.
Boldt, une histoire de famille
Fils d’immigrés allemands, Martin Boldt ouvre un atelier de menuiserie à Appleton, dans le Wisconsin, en 1889. Son fils Oscar J.Boldt reprend l’entreprise en 1931 et la développe dans la construction. La troisième génération, représentée par OscarC. Boldt, en prend les rênes en 1950. L’entreprise grossit et connaît une croissance soutenue pour tout type de projet aux États-Unis et dans le monde. En 1998,TomBoldt, quatrième génération, reprend le flambeau et développe le Lean Construction, confortant ainsi la position de leader de l’entreprise.
Peux-tu nous expliquer ce que tu mets en application pour construire hors-site en milieu hospitalier ?
En tant qu’industrie, nous devons préfabriquer autant que possible hors-site et quand cela a le plus de sens. Le ciel est la limite ! La liste des éléments essentiels d’un plan de préfabrication tout corps d’état pour un projet d’hôpital varie en fonction des attentes de l’équipe du projet. Pour ma part, je recommande d’avoir le plus de composants possible fabriqués hors-site. Un ou deux peuvent contribuer à réellement améliorer les délais, la qualité et la sécurité… Mais le véritable avantage, c’est lorsqu’il est possible de délocaliser la fabrication de grandes parties d’un projet et ensuite de planifier correctement la mise en œuvre des éléments préfabriqués dans un scénario de type plug and play.
Alors, comment bien planifier un projet hospitalier hors-site ?
Le planning doit être préparé le plus tôt possible, dès la conception et dès que l’équipe a décidé ce qui allait être préfabriqué. Il doit refléter les activités prévues de consultation, les commandes de fabrication et d’installation des composants préfabriqués et préciser toutes les deadlines pour l’installation ou la livraison des éléments finis. Pour bien réussir un projet dont une partie est réalisée en hors-site, il faut absolument, au préalable : déterminer un certain nombre de paramètres comme le nombre de pièces à préfabriquer pour chaque composant et le temps de préfabrication; définir la coordination de tout le personnel pour le bon déroulement de l’installation, la gestion du flux de déchargement, de stockage et d’installation, la première date d’installation, l’ordre d’installation des composants, les éléments à compléter avant l’installation; fixer les délais d’installation pour chaque composant.
Quels sont les impacts du hors-site sur tes projets ?
Prenons l’exemple du projet «Medical CityPlano» (Texas). Il consistait en l’ajout de 90 lits, pour un coût de 65 millions de dollars (valeur 2017), sur le côté ouest du campus juste à côté du service des urgences en activité. Ce projet passionnant a connu un grand succès et a dépassé toutes les attentes. Les résultats finaux étaient révolutionnaires et dignes d’intérêt pour l’industrie : 45 % ont été réalisés hors-site avec la mise en œuvre de différentes solutions préfabriquées.
The next 25 years ?
Je pense assez souvent à ce que l’avenir nous réserve. Si vous considérez à quel point l’industrie de la construction a changé en seulement vingt-cinq ans, c’est assez remarquable. Aujourd’hui, je ne vois plus un projet de la même façon. Je ne peux pas construire sans une part de préfabrication. J’ai changé tout mon processus de pensée de construction et de planification pour l’inclure. C’est maintenant ancré dans mon ADN. L’un de mes espoirs est d’avoir enseigné et encadré tant de jeunes à travers le pays qu’ils seront capables de penser différemment lorsqu’ils atteindront des niveaux de direction. Ils encourageront la prochaine génération à innover, essaieront de nouvelles manières de faire, malgré les opposants et les critiques qui préfèrent voir quelqu’un échouer plutôt que réussir. Je suis heureux que nous voyions autant de jeunes intelligences rejoindre notre secteur, un groupe qui d’ailleurs comprend un nombre très important de femmes. Je milite depuis des années pour qu’il y ait plus de femmes dans la construction.