Point développement durable avec Fabrice Bonnifet

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On peut concilier durabilité et profit à condition de redéfinir la notion de durabilité

Comment une entreprise peut-elle contribuer au développement durable ? Il s’agirait de « concilier monde des affaires et limites planétaires », comme nous y invite Fabrice Bonnifet dans son ouvrage, fil conducteur de ses actions en tant que Directeur Développement Durable & Qualité, Sécurité et Environnement du Groupe Bouygues.


Quelle définition précise donneriez-vous au concept de développement durable ?

Créer de la valeur partagée par l’ensemble des parties prenantes, en prenant en compte les limites planétaires.

Ce terme n’est-il pas devenu obsolète, sachant que la notion même de « développement » induit une évolution et une progression dans le temps ?

Si on comprend le développement comme une croissance infinie d’utilisation de ressources, c’est en effet incompatible avec les ressources finies de la planète. Si, au contraire, le développement signifie faire progresser une prospérité sans carbone et sans destruction des services écosystémiques, alors pourquoi pas.

D’autre part, les notions de développement et de durabilité, ne seraient-elles pas contradictoires ? La croissance illimitée étant incompatible avec la protection du vivant.

Oui, le développement durable dans une perspective néoclassique de l’économie est clairement un oxymore.

Auriez-vous un terme à nous suggérer qui serait plus approprié et appellerait à plus d’actions immédiates ?

Je préfère la notion de prospérité, mais peu importe la sémantique, le monde se divise en deux catégories : ceux qui croient au monde fini et les autres. Je fais clairement partie de la première catégorie. À partir de là, il faut accepter la notion de limites et vivre avec. D’autre part, un Directeur Développement Durable (DDD) est un lanceur d’alerte, un agitateur bienveillant, un bouffon du roi… mais c’est aussi quelqu’un qui doit inspirer, influencer, car il n’a aucun pouvoir autre que celui de sa crédibilité technique.

Quelles lignes prônez-vous ?

Je prône la ligne de la sincérité, de l’exemplarité et de la cohérence. Un DDD est forcément un passionné, sinon son efficacité est égale à zéro. Il doit également être courageux, car c’est celui qui annonce que le Père Noël n’existe pas! Alors que tout le monde autour de lui pense que la technologie va nous sauver et que la croissance infinie du PIB est la seule manière de générer du progrès humain.

Quels sont vos modes d’action au sein de l’entreprise ? Comment une entreprise, citons Bouygues par exemple, peut-elle concilier durabilité et profit ?

On peut toujours créer de la valeur autrement dès lors que l’on admet que les externalités négatives ne sont pas une fatalité. Mon rôle c’est, d’apporter le socle de connaissances qui permet de comprendre la complexité du défi climatique et de la biodiversité, ainsi que quelques méthodes qui permettent de réfléchir à des solutions alternatives. On peut concilier durabilité et profit, à condition de redéfinir la notion de durabilité! Il va falloir rapidement choisir entre gagner beaucoup, pas très longtemps ou gagner peut-être un peu moins, mais plus longtemps. Le développement durable n’effacera pas la concurrence entre acteurs, même si nous allons devoir davantage collaborer entre les acteurs d’un même secteur, il y aura toujours des entreprises qui s’en sortiront mieux que les autres, notamment celles, comme Bouygues, qui ont une culture et des valeurs incarnées.

Comment peut-elle avoir un moindre impact environnemental ?

En raisonnant en coût carbone complet, tout le reste est anecdotique.

Le bâtiment hybride à économie positive (BHEP), concept déployé par Bouygues, s’appuie sur l’optimisation des bâtiments. Quelle forme prend cette nouvelle utilisation pour ses occupants ?

Le BHEP est un modèle de partage de mètres carrés sans contrainte. Si quelqu’un utilise un espace que vous n’utilisez pas à un moment donné avec un tiers qui s’assure que tout sera opérationnel lorsque vous en aurez de nouveau l’usage, vous allez générer plus de revenus, sans avoir à consentir d’énormes investissements.


La construction hors-site propose un nouveau paradigme, quel est votre position sur le sujet ?

C’est le sens de l’histoire mais parfois l’histoire met un peu de temps à s’écrire.

Comment le bâtiment BHEP concilie-t-il protection de l’environnement et viabilité financière ?

C’est sa raison d’être! C’est un bâtiment qui génère des recettes d’exploitation par la mutualisation, la production de flux physiques, la gestion dynamique de ses matériaux, la mise à disposition d’un hub d’électromobilité… C’est ultra rentable à condition de savoir l’exploiter, c’est tout l’enjeu.

Connaît-il une dynamique réelle ?

Comme le disait Schopenhauer : « Les grandes idées, comme les vérités sont d’abord ridiculisées, puis combattues et enfin elles s’imposent comme une évidence. » Nous sommes dans la phase 2!

Dans quelle mesure, le Groupe Bouygues se défait-il d’un usage conséquent du béton en optant pour des matériaux biosourcés ?

Nous allons utiliser tous les matériaux disponibles suivant les circonstances, y compris le béton, mais il sera bas carbone.

Ce nouveau mode constructif est-il à l’œuvre dans des projets conduits par Bouygues ?

Oui nous avons plusieurs réalisations concrètes dans plusieurs pays, nous connaissons les grands avantages de ce modèle constructif. Mais généraliser le hors-site n’est pas forcément pertinent partout et en toutes circonstances, car pour faire cela, il convient de réaliser un alignement de planètes qui ne va pas se produire facilement pour un grand nombre de raisons.

Le 8 novembre 2021, le Premier ministre, dans le cadre du Comité stratégique du Grand Paris, a mis en avant la construction hors-site : « Profitons de cette occasion si singulière pour développer par exemple la construction hors-site, ces procédés de préfabrication permettant de bâtir plus vite, de réduire les nuisances de chantier pour le voisinage et de faire émerger des industries françaises nouvelles, en capacité de créer des emplois et de recruter de la main-d’œuvre qualifiée. » Qu’attendez-vous concrètement du gouvernement ?

On attend du gouvernement qu’il devienne prescripteur de « hors-site » sur le long terme, puis qu’il s’en mêle le moins possible!

Le biomimétisme n’est plus cantonné à un cercle d’initiés. Pour autant, encore rares sont les constructeurs qui ont sauté le pas. Avez-vous choisi d’emprunter cette voie ?

Nous débutons dans ce domaine. Il y a dans la nature toutes les réponses à nos questions, à nous de nous former pour les percevoir ; le vivant est d’une complexité incroyable, nous devrions faire preuve de plus d’humilité face au miracle du vivant.

Votre ouvrage L’entreprise contributive : Concilier monde des affaires et limites planétaires, a été coécrit avec Céline Puff Ardichvili. En quoi vos expériences sont-elles complémentaires et ont-elles donné naissance à ce livre ?

Avec Céline, nous évoluons dans des secteurs très différents, mais nous connaissons bien les entreprises et nous partageons la même vision sur la situation de la planète. Notre complémentarité, c’est notre complicité.


Selon vous, la sobriété, la frugalité peuvent enjouer le quotidien des consommateurs et des entreprises, de quelle manière ?

La sobriété ou la frugalité n’est pas la privation ! c’est la juste consommation sans gaspillage avec le souci du partage qui rend plus heureux et plus libre aussi.

Ce livre n’est pas un énième livre sur le management, vous maniez avec humour la langue tout en explicitant très sérieusement la nature d’une entreprise contributive qui conjuguerait impératifs environnementaux, réalités économiques et sociales. En quoi consiste une entreprise contributive ?

Tout est dans la baseline! Concilier monde des affaires et limites planétaires. Pour comprendre son contenu, le plus simple est de lire le livre!

Vous vous interrogez sur l’importance à donner à l’immatériel, comment le mesurer et le valoriser ?

L’immatériel, c’est l’essentiel au service de l’important! Les cyniques connaissent le prix de tout et la valeur de rien. Mais heureusement, on commence à savoir évaluer assez précisément l’immatériel. Cependant, il n’y a pas forcément une traduction en euros et ce n’est pas un problème en soi. Il faut savoir admettre que tout ce qui est important peut ne pas avoir un prix.

Vous écrivez « pour faire autrement, il faut innover dans sa façon d’innover », quelle place donner à la high-tech ?

La high-tech peut évidemment rendre d’immenses services à condition de faire preuve de discernement! Utiliser une fusée pour faire du tourisme spatial ne correspond pas à ce que l’on peut appeler un usage inclusif de la technologie au service du bien commun. Un vaccin ARN si, à condition de le rendre accessible au plus grand nombre.

La low-tech peut-elle produire des solutions, qui plus est pour une entreprise d’envergure comme Bouygues par exemple ?

La low-tech est la véritable high-tech!

virginie speight