La construction préfabriquée, une histoire coloniale
À l’époque de l’esclavage dans les Caraïbes, les esclaves étaient logés dans des cases ou des baraquements. Ces derniers et leurs propriétaires n’avaient pas besoin de maisons mobiles, car elles étaient fixées à une plantation. En revanche, avec l’industrialisation de la canne à sucre, la demande de main-d’œuvre étant fluctuante, il était donc indispensable de pouvoir démonter et déplacer facilement les petits logements en fonction des besoins. Le plus souvent, ces maisons modulaires étaient situées sur un terrain qui n’appartenait pas à l’occupant.
À la Barbade, la Chattel house était une forme de bâtiment préfabriqué développé par les esclaves après leur émancipation en 1834. Ces occupants avaient des droits limités pour construire sur des terres qu’ils ne possédaient pas. La terre qui leur était louée, était payée avec leur travail en guise de salaire. Leur propriétaire était leur employeur et pouvait, à tout moment, mettre fin à leur emploi. Ils devaient alors quitter la terre et se réinstaller là où ils pouvaient retrouver le chemin du travail.
En raison de ses contacts étroits avec les colonies d’Amérique du Nord, la Barbade a été la première île des Caraïbes à utiliser largement l’habitation modulaire développée à Boston. La version simple de la maison était d’une pièce, mesurant trois mètres sur six. Les toits en croupe faisaient place aux pignons. Une entrée à fronton était flanquée d’une fenêtre de chaque côté de manière symétrique. La décoration était concentrée sur l’extrémité du pignon, agrémentée de couleur.
Les maisons étaient agrandies en ajoutant un autre module similaire sur un axe perpendiculaire à la rue. À mesure que les hommes nouvellement affranchis amélioraient leur statut social, les petites maisons changeaient d’apparence et de fonction. Avec le temps, beaucoup d’anciens esclaves sont devenus propriétaires du terrain et des éléments plus importants et des structures permanentes ont pu être ajoutés. Ces nouveaux propriétaires ont commencé à ajouter des porches à fronton et des vérandas enveloppantes. Des fenêtres et des auvents plus conséquents se sont répandus. Il s’agissait de jalousies ou de capots de fenêtre pensés pour offrir plus d’ombre et de nouveaux éléments de décoration.
À la Grenade, les flancs des collines de St.George étaient couverts de résidences modulaires comme celles de la Barbade. Pour ces bâtiments à ossature, on utilisait des lattes de bois horizontales et des toits à pignon. L’agrandissement se faisait communément par l’ajout de hangars. Trinidad a également utilisé des résidences modulaires de trois mètres sur six, parfois soutenues par des fondations ou par des poteaux de bois plantés dans le sol. Les toitures à deux pans ont souvent des pentes plus fortes qu’ailleurs dans les Caraïbes. À Puerto Rico, ces modules aux dimensions identiques devaient vraisemblablement provenir de la Louisiane, avec des interprétations locales très variées.
Bien que la Guadeloupe ait maintenu la tradition de la construction navale dans la construction de maisons, la préparation du chantier était totalement différente de celle de la Martinique. La structure reposait souvent directement sur le sol ou sur des rochers placés à chaque coin ou sur des poteaux en bois encastrés dans le sol. Si les modules servaient aussi pour agrandir une demeure toujours parée de couleurs, il était important de conserver la mobilité de la structure. Alors que le bardage en bois était traditionnellement choisi, la tôle s’est rendue peu à peu populaire. Sur le continent africain, avec l’arrivée du train et le développement du chemin de fer, on trouvait des cases intégralement préfabriquées en métal, par exemple au Congo belge, Congo français ainsi que dans les colonies britanniques. Cela correspondait à une période de surproduction de construction dans les grandes aciéries en Europe qui par conséquent trouvaient de nouveaux débouchés dans les colonies. Selon les colons européens, la main-d’œuvre locale était non qualifiée et de piètre qualité. Par ailleurs, ils considéraient que les matériaux sur place n’étaient pas adaptés à la construction. Au fond, pour eux, il était question de maîtriser toute la chaîne de production, découler leurs matériaux et d’en tirer largement profit.
VIRGINIE SPEIGHT