Construction hors-site : Préfabrication ou industrialisation ? Très certainement les deux

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Jihlava Multipurpose Arena, par CHYBIK + KRISTOF ARCHITECTS & URBAN DESIGNERS, Jihlava, République tchèque.

Pascal Chazal
CEO de HORS SITE Conseil

PRÉFABRICATION OU INDUSTRIALISATION ?

Si le concept de construction hors-site est assez bien compris (il s’agit de déplacer des heures du chantier en usine), celle-ci englobe deux facettes bien différentes : la préfabrication et l’industrialisation. S’il est possible de transférer des heures de travail dans une usine en utilisant la préfabrication, le véritable changement viendra de l’industrialisation, qui offre le plus gros potentiel d’amélioration.

PRÉFABRICATION

La construction classique fonctionne de manière descendante  : on identifie un terrain, l’architecte dessine et les bureaux d’études, organisés par métiers, calculent et consultent les entreprises. De manière classique, les travaux sont réalisés sur le chantier à partir d’éléments de base à faible valeur ajoutée, le sable, le ciment, les tuiles et les fils électriques… De plus en plus fréquemment, pour améliorer coûts, qualité et délais, on se tourne vers la préfabrication, et les « préfabricateurs »sont consultés. Ceux-ci sont habitués à répondre à une demande « bâtiment » qui est spécifique à chaque fois – les usines ne sont pas des usines, mais des chantiers abrités sous un toit. La préfabrication offre de nombreux avantages par rapport au chantier et il faut la développer largement, car elle améliore la qualité et réduit les délais, mais la réduction des coûts n’est pas au rendez-vous. Or, celle-ci est une nécessité absolue dans de nombreux domaines de la construction et de la rénovation, notamment la rénovation thermique performante qui est l’enjeu majeur des décennies à venir. Pour améliorer le coût, il faut changer de modèle et passer à l’industrialisation !

INDUSTRIALISATION

Avec le LEAN Manufacturing, l’industrie, depuis quarante ans, nous a montré, pour nos objets quotidiens – vêtements, électroménager, automobiles –, sa capacité à produire de meilleure qualité et moins cher chaque année. L’industrialisation est tout à fait possible dans la construction, mais elle exige de penser autrement, car le système descendant, les organisations segmentées en métiers et le mode de pensée centré sur la conception d’un bâtiment « prototype » pour chaque opération sont des freins à l’industrialisation.

Friendly Building, logements sociaux pour étudiants en colocation, par
l’agence parisienne Wild Rabbit Architecture, situés à Villejuif, France.

Pour industrialiser, nous devons utiliser les outils de l’industrie comme le DfMA (Design for Manufacture and Assembly). C’est possible, mais cela passe par une compréhension du modèle industriel. Dans l’immobilier et le bâtiment, les acteurs sont des généralistes, ils ont appris un métier, et sont capables de répondre à de très nombreux type de projets.

On peut même parler d’un changement structurel de nos organisations, la segmentation des métiers, qui fait loi, doit évoluer vers des organisations plus collaboratives.

L’industrie repose sur la répétitivité et l’amélioration continue. Elle utilise des « standards » – des méthodes, des processus, des composants, des outils – centrés sur la satisfaction du client et la chasse aux gaspillages. Il est possible d’utiliser les méthodes et les logiques industrielles pour concevoir des composants à forte valeur ajoutée que nous intégrerons dans nos projets bâtiment.

Pour cela, il faut partir à la recherche de nos « standards » et identifier les éléments récurrents que nous pouvons trouver dans nos constructions. Il sont beaucoup plus nombreux qu’on ne le pense : salles de bains, chambres d’hôtels, d’Ephad, modules de logements, salles de classes, mais aussi escaliers, balcons, gaines, etc. Il faut imaginer des « briques » de bâtiments qui pourront être fabriquées efficacement en usine et que nous pourrons utiliser pour concevoir et édifier. Nous pourrons ainsi produire ces composants de manière efficace avec de véritables flux industriels. Pour que ce soit possible, il ne suffit pas d’investir des millions dans les usines, les softwares ou les équipements, il est nécessaire de comprendre qu’il s’agit d’un nouveau paradigme. Nous devons changer nos habitudes, nos organisations, nos processus d’achats. Cela modifie nos comportements et transforme les modèles économiques. On peut même parler d’un changement structurel de nos organisations, car la segmentation des métiers, qui fait loi, doit évoluer vers des organisations plus collaboratives.

La construction industrialisée, ce n’est pas binaire – tout sur le chantier ou tout en usine ; c’est une savante combinaison des deux mondes : prendre le meilleur de la construction pour tout ce qui est spécifique et unique et le meilleur de l’industrie pour ce qui est répétitif et « standardisable », que l’on pourra produire efficacement en usine et ensuite assembler sur le chantier. Pour ce faire, il est nécessaire d’éduquer l’ensemble des acteurs de la chaîne immobilière et de la construction, le monde politique et les élus. Les Suédois et les Anglais le font déjà, alors pourquoi pas les Français ?

Falcon House, maison modulaire, par Koto Design, située à Lower Mill Estate dans les Cotswolds, Royaume-Uni

Les besoins immenses de rénovation énergétique et la production de bâtiments bas carbone ne pourront pas être réalisés suffisamment vite avec les méthodes classiques, nous manquons de plus de 200 000 emplois dans le bâtiment alors même que l’industrie automobile se prépare, avec le développement de la voiture électrique, à fermer des usines et perdre 100 000 emplois. Alors pourquoi ne pas utiliser ces emplois et ces usines pour produire des éléments hors-site pour la construction et ainsi accélérer la transition vers un monde bas carbone ?