La construction industrialisée comme boussole

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RENCONTRE
Christian Birbaud
Directeur de la région Sud-Ouest et du pôle Solutions Industrialisées,

Le Groupe Eiffage tient le haut du pavé en matière de construction industrialisée avec des projets misant sur des ressources biosourcées et bas carbone. Il s’appuie notamment sur trois filiales : Savare pour la construction bois, B3 Ecodesign pour la construction modulaire 3D et HVA Concept pour la salle de bains industrialisée.

Propos recueillis par virginie speight

Virginie Speight. Eiffage Construction a la particularité d’être à la fois constructeur, promoteur et aménageur.

CHRISTIAN BIRBAUD. C’est un choix historique qu’a fait l’entreprise par nécessité. Le fait d’être constructeur, promoteur et aménageur nous permet d’avoir une vision sur dix ans sur les territoires où l’activité devra être planifiée. La construction trouve ainsi les moyens de s’organiser, cela rejoint parfaitement l’industrie, car ainsi, on peut avoir une vision industrielle d’investissement et d’amortissement. Le constructeur classique travaille au mieux sur un plan de charge de douze mois à dix mois au maximum. Être promoteur, constructeur et aménageur permet d’avoir une vision d’investissement, d’organisation de ressources. Cette intégration verticale est un modèle unique parmi les majors qui préfèrent cloisonner les activités en cultivant leur autonomie. C’est tout l’intérêt qu’il y a au sein d’Eiffage par rapport à l’ensemble de nos concurrents, même si des promoteurs et entrepreneurs le comprennent maintenant.

V.S. Vous avez la capacité de valoriser tous les aspects d’un projet, est-ce une manière pour vous de mieux valoriser les usagers ?

C.B. En fait, depuis cinq ou six ans, on parle beaucoup d’usage. C’est la première réflexion que l’on a vis-à-vis de notre clientèle. Ensuite, à nous de le concevoir techniquement pour introduire de l’industrialisation vis-à-vis du preneur, de l’acquéreur. On parle d’usage, mais aussi de qualité de performance de l’opération, d’autant plus à l’heure actuelle avec la crise énergétique dans laquelle on est entré. L’industrie nous permet d’atteindre un niveau de performance que l’on ne peut guère obtenir sur un chantier. Ce contexte d’évolution est considérable. Avec notre organisation, nous avons les atouts pour apporter des solutions innovantes et industrialiser 20 % de notre activité. Notre pôle d’activité industrielle va s’écrire progressivement avec l’Histoire.

V.S. Quand avez-vous créé ce pôle industriel ?

C.B. Nous avons mené les premières réflexions dans les années 2004, 2005. Pour faire face à une demande liée à la construction de prisons en partenariat public-privé, on avait l’exigence d’avoir des salles de bains préfabriquées à base de solutions 100 % béton, et on les a trouvées au Danemark. À partir de ce moment-là, ons ’est demandé pourquoi on ne ferait pas ça en France, et en parallèle on a eu la chance d’observer ce qui se faisait à Saint-Nazaire sur les paquebots où ils préfabriquaient des salles de bains, des chambres et même des morceaux de paquebots à base de métal. On a conjugué ces savoir-faire pour créer la première usine de salle de bains du Groupe : l’usine HVA Concept en 2008 qui, depuis, a fait sa croissance d’activités avec ces nouvelles solutions.

La tour Hypérion, plus haute tour de France en bois avec façades à ossature bois (FOB), Eiffage Savare, Bordeaux, France

V.S. Vous avez aussi fondé récemment le pôle Solutions Industrialisées.

C.B. En effet, le pôle Solutions Industrialisées a été officialisé en janvier 2021. On a souhaité organiser un pôle pour valoriser en parallèle nos activités pays ou régions. On avait des outils à notre disposition et on croyait aux solutions industrielles. On s’est donné comme objectif d’avoir une forte croissance d’activités dans ce domaine. C’était aussi une reconnaissance des collaborateurs et des activités qui avaient été créées progressivement ou rachetées au sein de ce pôle. En 2008, avons créé HVA Concept, puis en 2018 nous avons racheté une partie de l’activité de l’entreprise Charpentes Françaises renommée Savare. L’usine principale est basée à Caen. Et en 2019, on a repris l’activité d’up-cycling de containers maritimes de la société B3 Ecodesign, ce qui nous permet de faire de la construction modulaire 3D et de compléter notre offre. Une acquisition qui s’inscrit dans la politique du Groupe engagé dans le développement de modes constructifs bas carbone. Actuellement, ce pôle a trois activités autour de solutions hybrides, économiques et performantes techniquement.

V.S. Quelle attitude avez-vous face à la hausse du prix des matériaux ?

C.B. Face à la crise de la covid, on s’est interrogé sur la hausse du prix des matières premières telles que le bois, mais aussi sur l’évolution du prix de l’acier. Il est toujours important pour nous de mettre le bon matériau au bon endroit mais aussi au bon prix. Même si aujourd’hui on imagine que le prix du bois va se réguler à un prix plus modeste, on a tout de même doublé le prix de la matière première.

V.S. Et en ce qui concerne l’acier ?

C.B. L’acier, on en met moins. On a toujours connu des hausses et des rechutes parce que la demande mondiale fait que pour le fer à béton, qui est notre acier principal dans la construction classique, on a toujours connu cette évolution. Mais on n’avait jamais connu un niveau aussi élevé, aussi longtemps. On est donc dans l’expectative prudente.

Vue intérieure du nouveau lycée Gergovie à Clermont-Ferrand, Eiffage Savare, France

V.S. Quels sont les matériaux biosourcés qui répondent pour l’instant le mieux à vos attentes ?

C.B. Aujourd’hui, dès la conception, nous privilégions l’usage des biosourcés. C’est vrai pour le bois, mais également pour la paille, qui est un excellent isolant convenant parfaitement à la préfabrication, y compris pour des bâtiments d’envergure. Notre choix se porte sur la paille, mais ceci en fonction des territoires, il ne faut pas qu’on ait à transporter cette matière première sur des kilomètres. Le lycée Gergovie de l’agglomération clermontoise, qui vient juste d’ouvrir ses portes, illustre parfaitement notre approche consistant à favoriser le circuit court. Nous avons opté pour la paille locale issue d’Auvergne, moissonnée dans la plaine de Limagne que nous avons stockée. Nous avons utilisé en tout et pour tout 3000 bottes de paille pour l’isolation thermique des murs. Nous avons conçu et répondu à l’appel d’offres de conception-réalisation de ce lycée très performant à base d’ossature bois, 100 % isolation paille. Nous nous sommes rendu compte qu’il nous fallait créer à proximité du chantier une usine déportée pour assembler la paille locale, la solution d’ossature prédécoupée et réaliser cet ouvrage très performant. Selon moi, c’est une parfaite démonstration de ce qui peut se faire dans la commande publique. Dans le cas présent, cela ne nous pose aucun problème d’intégrer l’utilisation de la botte de paille dans l’ouvrage, à partir du moment où cela est prévu en amont. Ce projet de lycée à partir d’un matériau écosourcé représente la plus grande performance qui s’est faite en France en termes de taille et de volume. Cela étant on a d’autres demandes d’isolants biosourcés toujours en fonction des territoires. On les utilise toutefois en restant prudent aussi, il ne faut pas qu’on rentre dans la contre-performance. Le biosourcé, c’est vivant, on se rend compte que si on l’appréhende mal en phase de réalisation, on peut le détruire, et les résultats au niveau acoustique et thermique peuvent donc s’avérer négatifs. À nous ensuite de progresser, de mieux maîtriser. Il faut également que l’on puisse s’assurer, car le problème de la construction, c’est qu’en France – contrairement au reste du monde –, on impose une garantie décennale .En tant qu’entreprise générale, on engage sa responsabilité, on est dans une position de sachant. Et si l’on conçoit quelque chose dans lequel on va intégrer un produit à risques, on est peut-être parti pour trente ans de risques.

Technicolor, maisons individuelles, projet de construction passive réalisé à Acigné en Ille-et- Vilaine par Eiffage B3 Ecodesign, France

V.S. Comment voyez-vous cette nouvelle génération qui a décidé de rejoindre le BTP ?

C.B. Le premier bouleversement que l’on connaît aujourd’hui et que l’on va connaître demain dans le bâtiment vient de la maquette numérique, le deuxième bouleversement c’est l’attente des jeunes collaborateurs qui arrivent sur le marché. Dans notre profession ou dans l’environnement de notre profession. La nouvelle génération recherche du sens dans ce qu’elle va faire. Elle présente aussi l’avantage de maîtriser parfaitement les outils numériques. Il s’agit de conjuguer les deux pour que demain l’on ait des talents dans l’entreprise pour que l’on puisse créer les bonnes solutions et répondre aux exigences du marché ; que ce soit sur la performance, sur le bilan carbone pendant la construction, sur les matériaux biosourcés.

V.S. Mais ces jeunes qui arrivent sur le marché sont-ils suffisamment agiles et armés pour trouver ces solutions innovantes ?

C.B. Il faut se remettre dans l’idée de former des ingénieurs de très haut niveau appartenant à cette nouvelle génération et qui seraient passés par des écoles où on leur donnerait véritablement les moyens d’approfondir les mathématiques et la maîtrise de la mécanique. On a malheureusement plutôt des jeunes qui sont généralistes au moment où il faudrait avoir une maîtrise de toutes les sciences du bâtiment. Je trouve qu’en trente ans, on s’est finalement appauvri alors que l’on a des équations de plus en plus complexes à résoudre. En réalité, aujourd’hui, on a trop de généralistes. À l’opposé, chez Eiffage, nous misons plus sur des spécialistes, de jeunes collaborateurs aux compétences très spécifiques, et par conséquent capables de faire émerger des solutions très pointues dans chaque domaine. On ne va pas demander à un thermicien de faire de la mécanique ! Ensuite à nous de faire en sorte d’associer les compétences individuelles — une bonne manière de cultiver la créativité.