Mayers, accélérateur de la construction hors site

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Lors de la conférence-événement Reborn, le 16 mai dernier, sur son site de La Janais, le groupe Réalités a annoncé l’accélération du développement de sa filiale spécialisée dans la construction bas carbone et hors site Réalités BuildTech. Pour traduire cette volonté, un changement de nom – Réalités BuildTech devient Mayers –, une ouverture à l’ensemble du marché (promotion immobilière, bailleurs sociaux et collectivités) et une ouverture de capital pour avoir les moyens de ses ambitions. Trois bonnes raisons de s’entretenir avec Bertrand Favre, président de cette nouvelle entité, après avoir été directeur des projets stratégiques et innovants du groupe Réalités. Il revient sur la genèse du projet et dévoile pour HORS SITE la stratégie qu’il va mettre en œuvre.

propos recueillis par Stéphane Miget

Bertrand Favre,
président de Mayers

Quel est le cheminement qui vous fait passer de Réalités BuildTech à Mayers ?

Bertrand Favre Pour le comprendre, il faut retourner dix ans en arrière. À cette époque, le groupe a commencé à construire une activité autour de la maîtrise d’œuvre d’exécution pour piloter ses chantiers programmatiques en maîtrise d’ouvrage. Progressivement, nous avons ouvert des bureaux d’études sur différents métiers : l’économie, le dessin, les fluides, l’environnement. En 2021, nous avons racheté une usine de fabrication de maisons à ossature bois, Tessa Industrie. Après le rachat de cette structure, nous avons opéré un transfert d’activité sur le site de La Janais de Tessa. Cela nous a permis d’industrialiser le processus dans un environnement qui s’y prête bien. Ainsi, le groupe a pu basculer un certain nombre de ses programmes pour la préfabrication hors site. Jusqu’à fin 2022,nous étions dans une phase d’apprentissage, dans une logique de POC (Proof Of Concept ; preuve du concept, en français), pour reprendre le vocabulaire des start-up.

Que se passe-t-il début 2023 ?

B. F. Nous avons fait deux constats. Le premier concerne la volumétrie des projets éligibles à la partie industrie, opérés par le groupe ; nous avons établi qu’elle était trop faible pour nourrir notre outil de production. Le second constat est lié à tout ce que nous avons développé depuis dix ans, soit des compétences qui ont de la valeur pour le groupe Réalités mais qui pourraient en avoir pour le reste du marché. Donc notre première décision, prise courant février, est d’ouvrir le carnet de commandes de ce qui s’appelait encore à l’époque Réalités BuildTech à d’autres promoteurs, à des bailleurs, à des constructeurs. Et ce, par le prisme industriel, l’idée étant de mettre à disposition l’ensemble de notre savoir-faire aux bureaux d’études, maîtrises d’exécution et fabrication.

C’est ce qui vous a incité à changer de nom et à ouvrir le capital ?

B. F. Oui. En ouvrant l’activité à d’autres clients que le groupe Réalités, il fallait sortir de son giron. C’est pourquoi nous avons engagé un travail sur le changement de nom. Enfin, pour donner de la force à cette ambition, le groupe a décidé d’ouvrir le capital de Mayers à des actionnaires tiers. Ainsi, Réalités BuildTech devenu Mayers est un client et un actionnaire du groupe mais il n’est ni l’unique client ni l’unique actionnaire.

N’y a-t-il pas un risque d’ouvrir son outil de travail dans un univers très concurrentiel ?

B.F. Peut-être au départ, dans le schéma que nous avions engagé en janvier, y avait-il un risque car Réalités BuildTech était une entité du groupe très intégrée. C’est pourquoi, en plus de l’ouverture du capital, nous sommes en train de repenser l’ensemble des processus métiers pour devenir totalement indépendants. Donc un nouveau nom et une gouvernance différente.

Projet de maison d’enfants d’Arpeje 49. Lieu de vie mixant construction bois (80 %) et béton (20 %).

Quelles en sont les spécificités ?

B. F. J’ai été nommé président et il y a deux directeurs généraux, Quentin Goudet et Stéphane Guy. Avec eux, nous passons d’un schéma d’intégration dans les processus décisionnels du groupe à plus d’indépendance, avec un conseil d’administration où siègent des actionnaires. Soit un fonctionnement autonome. Cela passe par des changements assez pratiques au quotidien, par exemple déménager les bureaux du siège, reprendre en main les outils informatiques ou encore créer les fonctions RH, juridiques et financières.

Où en est-on aujourd’hui de l’ouverture du capital ?

B. F. Nous l’avons annoncée il y a un mois tout juste et nous avons communiqué sur un premier partenaire, Tudigo, sur un placement obligataire à hauteur de 2 millions d’euros, ce qui nous permet de réaliser une première tranche. Le reste du tour de table sera déroulé sur l’année pour arriver – nous l’espérons – à 10 millions d’euros. Sur cette deuxième partie, nous avons engagé des discussions avec des investisseurs de façon à pouvoir faire un closing en fin d’année.

Passons au développement de l’activité et à votre stratégie pour développer la construction hors site. Quelle est-elle ?

B. F. Nous sommes entrés dans le hors-site sans être un industriel, donc nous nous sommes entourés de compétences. Nous avons appris l’industrie et structuré une équipe qui couvre l’ensemble des métiers conception, fabrication, réalisation. L’usine de La Janais est la partie émergée de l’iceberg. Il ne faut pas oublier que, en amont, les deux tiers des collaborateurs sont en bureaux d’études et, en aval, la même proportion des conducteurs de travaux sont sur les opérations. Nous avons aussi mis en place un partenariat avec un cabinet d’architecture. Cette structuration nous permet d’avoir une vision complète. Nous ne sommes pas qu’un industriel qui fabrique des modules.

Vous êtes très sévère avec le monde de la construction. Pourquoi ?

B. F. J’emploie parfois des mots forts, mais ce secteur est archaïque. Il ne s’est pas transformé comme d’autres industries, telles l’automobile ou l’aéronautique. Or, industrialisé, le secteur présente un certain nombre d’avantages pour le client. Citons la maîtrise de la qualité des produits donc des bâtiments, la baisse des coûts, la réduction des délais qui, en construction conventionnelle, ne cessent de s’allonger. En industrialisant, nous sommes capables de sortir des bâtiments plus vite. Il y a aussi la difficulté de recruter des collaborateurs. Nous sommes au début d’une crise démographique. Un bon indicateur, c’est la fermeture, cette année, par l’Éducation nationale de 2200 classes en raison d’une baisse du nombre d’élèves. Cela montre ce qui nous attend, notamment sur des métiers à forte pénibilité et peu attractifs. L’industrialisation est une manière d’y remédier avec des métiers à plus forte valeur ajoutée et des conditions de travail semblables à celles que l’on trouve dans d’autres industries.

Site de production Mayers usine de La Janais.

Justement, à propos d’automatisation, comment comptez-vous développer l’outil industriel ?

B. F. Nous avons entamé un processus de mécanisation et d’automatisation sur notre chaîne 2D, laquelle nourrit la 3D, notamment pour les façades à ossature bois. Nous investissons dans l’outil industriel pour continuer cette automatisation jusqu’à la robotisation. Notre objectif est d’avoir d’ici à douze mois une vision beaucoup plus fine de ce que devra être notre deuxième site de production en capitalisant sur l’expérience de l’usine de La Janais. C’est pour cela que nous nous sommes entourés d’acteurs tels que Dassault Systèmes, pour nous aider à modéliser l’usine. J’ajoute que celle de La Janais n’a pas vocation à disparaître ; nous allons la pousser au maximum.

À propos du partenariat avec Dassault Systèmes, vous travaillez avec le jumeau numérique. De quoi s’agit-il ?

B. F. La plupart des industries sont passées par le jumeau numérique. Dassault l’a développé pour l’aviation. Cela permet de concevoir en amont un objet, un avion ou, comme dans notre cas, un bâtiment : numériser sa conception, sa fabrication et jusqu’à sa maintenance. Comme un avion, un bâtiment doit être livré avec le moins de réserves possibles, voire aucune. Le jumeau numérique nous permet d’anticiper la conception de nos bâtiments ; cela commence avec les architectes pour qu’ils pensent, dès la genèse du projet, les bâtiments en construction hors site. Ce qui autorise une forme de standardisation avec des logiques de gammes, d’ensembles et de sous-ensembles dans les modes constructifs. C’est tout un pan du jumeau numérique qui embarque tous les métiers de l’ingénierie.

Sur la partie plus industrielle, c’est la capacité des outils du système d’information Dassault Systèmes qui nous aide. Sur ce plan, nous travaillons avec d’autres sur la mobilisation des flux dans l’usine. Il s’agit de pousser de façon itérative un processus industriel dans une logique d’amélioration continue : optimisation des postes, des flux, jusqu’au positionnement des machines dans la chaîne de production.

Comment allez-vous travailler avec les promoteurs ?

B. F. Mayers est un enfant de promoteur, donc nous les connaissons bien. Notre manière de faire aujourd’hui intègre une équipe design qui embarque toute la partie conception, partenariat avec les architectes et avec nos bureaux d’études. Cette équipe fait du make et du build –anglicismes pour illustrer notre vision qui va au-delà de nos frontières. Le marché du hors-site n’est pas seulement franco-français, on le voit en Suède, aux États-Unis et au Royaume-Uni. Avec cette organisation, nous proposons aux promoteurs une offre complète, qui en plus s’accompagne d’un mode constructif bois et biosourcé. Ce qui répond aux enjeux environnementaux, carbone notamment, dans lesquels les promoteurs ont besoin de s’engager. Finalement, nous pensons nos nouveaux systèmes constructifs en lien avec les besoins et les nouveaux usages.

Et les architectes, comment les embarquez-vous dans votre façon de faire ?

B. F. Nous avons travaillé avec eux pour construire ce que j’appelle un catalogue d’éléments numériques. Des ensembles et sous ensembles que les architectes peuvent combiner pour créer du logement, du tertiaire… Ce catalogue d’éléments permet de fabriquer des bâtiments dans la maquette numérique. L’architecte peut s’en saisir pour mettre sa signature, il peut aussi travailler d’autres filières, d’autres modes constructifs. La construction hors site n’est pas une succession de cubes empilés. Nous travaillons actuellement un beau programme : une maison d’enfants à caractère social pour Arpeje 49. Elle répond à des normes environnementales qui vont au-delà de 2030. Ce projet est dans une logique de massification, qui englobe les enjeux de personnalisation autour de la conception, de l’économie et de l’environnement. Et puis, nous réfléchissons à la rénovation. C’est un sujet qui est très important : 90 % des bâtiments sont déjà construits. Nous l’abordons par le prisme de la 2D, parce qu’il faut rentrer dans des contraintes préexistantes de bâtiments.