Raymond Camus : l’autre pionnier de la préfabrication

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En France, la période de la reconstruction après la Seconde Guerre mondiale a été marquée par une avalanche d’innovations visant à concilier progrès et durabilité. Les entrepreneurs, industriels et architectes ont tous déposé de nombreux brevets. Parmi eux, figure en bonne place le Havrais Raymond Camus, ingénieur visionnaire qui a révolutionné l’architecture avec ses panneaux de béton préfabriqués.

C’est un fils de… mais pas que. Raymond Camus, diplômé de l’École centrale des arts et manufactures en 1933, a certes commencé sa carrière dans l’entreprise de construction de son père au Havre. Mais il a vu beaucoup plus loin. Après un passage aux usines Citroën, où il a travaillé sur des solutions de logement pour les ouvriers, il rejoint l’entreprise de travaux publics Bancel et Choiset en 1942. C’est là qu’il commence à envisager l’application des principes de fabrication industrielle au secteur de la construction.

Naissance des panneaux préfabriqués Camus

Parce qu’il constate les limites des méthodes de préfabrication par petits éléments, Camus a l’idée de réaliser des panneaux de béton de grande taille, intégrant des cadres en béton armé et des remplissages pour offrir une résistance structurelle. Ces panneaux préfabriqués incluent également des éléments de second œuvre, comme la tuyauterie, les gaines, les colonnes sèches, ainsi que les fenêtres et les portes. Une fois livrés sur le chantier, ces panneaux « intégrés » sont prêts à être posés, et ne nécessitent que des raccords, ce qui réduit considérablement le temps de construction et le nombre d’ouvriers requis. En juin 1948, Camus dépose son brevet sobrement intitulé « Procédé de construction ». Sa méthode présente trois avantages majeurs : la réduction des joints d’assemblage, l’économie d’une ossature préalable, et une fabrication complète en usine garantissant une qualité optimale. En 1949, le procédé Camus reçoit l’agrément provisoire du ministère de la Reconstruction et de l’Urbanisme.

Les panneaux plutôt que la structure à la Auguste Perret

Le premier chantier expérimental est lancé au Havre. C’est là, dans le quartier du Perrey, proche du littoral, qu’il met au point son système de préfabrication lourde de panneaux par façades. Pour le reste du centre-ville, les architectes réunis autour d’Auguste Perret dans l’Atelier de reconstruction du Havre donnent une place prépondérante à la structure. Dans la lignée de l’invention de Camus, de nombreux autres projets suivront. En1951,son procédé est utilisé à Strasbourg pour un ensemble de 800 logements et à Saint-Germain-en-Laye pour 263 logements destinés aux familles des militaires du quartier général des Forces Alliées en Europe. Le procédé Camus rencontre aussi le succès à l’international et s’implante dans des dizaines de pays, notamment en URSS où il est utilisé dans 300 usines pour atteindre l’objectif de deux millions de logements par an fixé parle gouvernement Khrouchtchev. Au faîte de sa gloire, Raymond Camus détient six usines en France et seize à l’étranger.

À Noyelles-sous-Lens (62), les 1 412 maisons Camus, appelées des Camusards (ci-dessus), ont acquis une valeur patrimoniale. Construites dès 1954 avec des modules de béton préfabriqués, elles sont en cours de rénovation. Ci-contre, une maison Camus entièrement réhabilitée. Réception des travaux prévue pour fin 2024.
Le bailleur Maisons & Cités gère la rénovation des maisons Camus bas de Noyelles-sous-Lens. Pour les besoins de cette opération, les panneaux OSB, préassemblés à une ossature bois, sont livrés en kit, avant d’être recouverts de bardages en fibre ciment et d’un habillage métallique

Un héritage durable pour les bailleurs d’aujourd’hui

Malgré le déclin de la préfabrication lourde dans les années 1970, le système Camus totalise plus de 350 000 logements réalisés dans vingt pays en 1977. Raymond Camus, qui décède en 1980, a déposé une quarantaine de brevets entre 1948 et 1974, principalement sur la fabrication et la manutention de panneaux préfabriqués en béton armé. Aujourd’hui, les bâtiments conçus avec le procédé Camus sont rénovés… avec des méthodes hors-site. La boucle est bouclée! Le bailleur Maisons & Cités a ainsi fait le choix de l’industrialisation pour réhabiliter son patrimoine de maisons Camus bas à Noyelles-sous-Lens (62). Le projet prévoit la rénovation de 1412 maisons. Construites initialement avec des modules de béton préfabriqués, elles seront rénovées selon les exigences de l’habitat contemporain avec une performance énergétique de 60kWh/m² par an. Le chantier est porté par Bouygues Bâtiment Nord-Est (BBNE) avec Nortec Ingénierie, Symoe et les architectes de Redcat et Blau. L’occasion pour la major de déployer son concept ByWALLi, issu de son programme BYSprong en référence à la méthode EnergieSprong. Il consiste en un scan 3D effectué par drone afin de créer des plans précis pour la préparation en usine. Sur site, les menuiseries sont remplacées et un précadre installé pour l’isolation avec de la laine de coton insufflée. Les panneaux OSB, préassemblés à une ossature bois, sont livrés en kit et fixés pour envelopper le bâtiment, recouverts ensuite de bardages en fibres ciment et d’habillage métallique. L’efficacité et la rapidité des travaux – quinze jours maximum – sont un des points forts du programme, avec la production des panneaux dans un rayon de 30 km, complétée par la mise à niveau des toitures, l’installation de PAC air/eau et de ventilation simple flux. Cette rénovation en site occupé nécessite une planification minutieuse. Les architectes ont donc profité des périodes de vacance locative pour créer des prototypes. Car, bien que les maisons Camus bas semblent uniformes, elles présentent des variations dues aux évolutions du concept original. Le plan générique est fondé sur le modèle Camus bas, avec des adaptations pour différents cas de figure. Une fois les premières maisons et ajustements terminés, l’équipe de maîtrise d’œuvre prévoit de livrer 60 maisons par mois. L’achèvement des travaux est prévu pour fin 2024.

Stéphane Miget