Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur l’expert hors-site (sans jamais oser le demander)

482

Comment travaille l’expert hors-site ? Quelles sont ses missions ? Éclairage sur la réalité de ce métier relativement neuf et sur ses implications à plus long terme. Car, tandis que le monde du bâtiment mute à vitesse grand V et que le répertoire constructif se complexifie, il s’avère de plus en plus difficile pour les maîtres d’ouvrage et leurs équipes de s’orienter dans le maquis des solutions techniques. Entre le retour des matériaux biosourcés et géosourcés, les enjeux du numérique et les réglementations thermiques, il devient urgent de faire les bons choix. D’où le recours à ces experts d’un nouveau genre.

Pierric Martin
directeur général HORS SITE Conseil

Quel est le rôle de l’expert hors-site ?

Le plus souvent, il travaille aux côtés de la maîtrise d’ouvrage en tant qu’assistant technique. En effet, pas question pour lui de remplacer la maîtrise d’œuvre mais bien d’épauler le maître d’ouvrage dans le cahier des charges qu’il émet et de l’aider à se positionner vis-à-vis de l’ensemble des solutions constructives à privilégier. Le rôle de l’expert hors-site est donc, à partir de sa capacité à innover et investir, de trouver les bons modes constructifs, et de mettre en avant les procédés qui lui paraissent les plus pertinents. Une fois ces choix constructifs établis, il tient un rôle d’accompagnant vis-à-vis des équipes de conception afin de garantir la compatibilité de la conception avec les processus des fabricants.

S’agit-il toujours de construction ou de rénovation hors-site ?

Si la demande initiale est presque toujours orientée vers ce type de solutions, l’expert ne poussera cependant pas toujours la préfabrication des dossiers à leur maximum. En fonction des enjeux financiers et techniques, il joue le plus souvent un rôle d’expert en optimisation des solutions constructives et se concentre sur les méthodes de conception et de consultation des dossiers. En prenant en compte la maturité du donneur d’ordre, des équipes de conception et des solutions présentes sur le marché, il apparaît essentiel de ne pas pousser trop loin dans l’innovation. Son objectif reste toujours la réussite des projets, même si au final le taux de préfabrication hors-site semble faible.

Quelle est la clef de réussite d’un projet ?

Tout d’abord, la méthode. Parce que, sans une remise en question du mode de contractualisation, de conception et de la gestion de l’équipe projet, la construction et la rénovation hors-site ne peuvent aboutir à une pleine réussite des projets. C’est sur ce point qu’il concentre ses efforts. Il accompagne bien souvent les services opérationnels mais aussi les services marchés pour que chacun appréhende dans les meilleures conditions les changements de processus à opérer. C’est également là que son expérience est la plus importante. En effet, même si cela fait maintenant quelques années que les experts hors-site mènent ce type de projets et qu’ils sont toujours innovants, il serait simpliste de penser que tous les maîtres d’ouvrage peuvent appliquer la même méthode et aboutir au même résultat.

Ainsi, pour chaque demande d’accompagnement, l’expert commence par évaluer la maturité de son client, et adapte son positionnement à chaque étape. Ensuite, vient l’adaptation de l’innovation elle-même. Il faut impérativement prendre en compte les souhaits et moyens en innovation des donneurs d’ordre pour adapter au mieux les conceptions des projets qui vont être réalisés. Certains maîtres d’ouvrages sont déjà très structurés autour des enjeux du hors-site alors que d’autres n’en sont qu’au stade de l’expérimentation.

Dans ce contexte, quels types de missions propose l’expert hors-site ?

Il propose plusieurs types d’accompagnements pour lesquels il a mis au point des méthodes. La première étape commence très souvent par la mise en place d’un dossier pilote très ambitieux, qui va permettre, sur une période de quelques mois, de lancer un dossier démonstrateur aux côtés des services du maître d’ouvrage. Ce premier dossier est souvent de taille modeste afin de limiter les risques financiers et structurels. Une fois ce premier dossier lancé, il propose des missions plus stratégiques de détection des opérations pouvant intégrer des solutions hors-site. Il peut même aller jusqu’à la mise en place d’accords-cadres sur du plus long terme. Dans tous les cas, il adapte le format et la durée d’accompagnement aux besoins du donneur d’ordre.

Pourquoi les maîtres d’ouvrages vont-ils vers le hors-site ?

On parle beaucoup de hors-site depuis quelques mois et la création de l’association du hors-site en Île-de-France menée par I3F (groupe Action Logement), Société du Grand Paris et Grand Paris Aménagement, a suscité un réel engouement. Les maîtres d’ouvrage viennent donc aux experts du hors-site pour mieux comprendre ce type de construction et voir comment l’inclure dans leurs ouvrages. Les experts du hors-site mettent un point d’honneur à inscrire ces solutions en perspective avec les enjeux qu’ils défendent. Certains maîtres d’ouvrage sont plus en demande de construire rapidement tandis que d’autres sont en recherche de solutions face à la RE2020. Il y a aussi une demande récurrente sur les nombreux petits dossiers, ce qui est souvent le cas en région. C’est d’ailleurs ce type de dossiers que les experts encouragent. Leur calcul est simple : si les 750 bailleurs sociaux français construisent 20 logements par an avec des solutions hors-site, alors la filière se stabilisera et deviendra très compétitive. En effet, il faut prendre en compte que ce type de massification impliquera à terme la production de plus de 2 millions de m² de murs légers et/ou de 45 000 modules par an, rien que pour le logement.

Où en sont les solutions hors-site dans la rénovation ?

La première conclusion que l’on peut tirer est que cela fonctionne. Cela fait maintenant quatre ans que les expérimentations hors-site se multiplient. Et depuis deux ans, le hors-site est entré dans une phase de massification. Comme pour toutes les solutions présentes sur le marché, il faut choisir les bonnes solutions en face des bons enjeux. Mais d’ores et déjà, nous pouvons observer les premiers résultats. Nous travaillons actuellement sur plusieurs sujets impliquant de la rénovation, notamment le projet européen Life (Giga Régio Factory), où il apparaît que certaines solutions sont plus que pertinentes et font déjà leurs preuves, les modules énergie et les façades en tête. Une fois de plus, il ne faudra pas à tout prix viser les solutions hors-site mais plutôt les mettre en avant quand les enjeux le nécessitent. C’est le cas pour les établissements scolaires. En parallèle, une forme d’industrialisation du process de rénovation voit le jour. L’émergence de ce type de méthode est très encourageante, notamment pour sortir les usagers de la précarité énergétique et répondre aux enjeux de la SNBC 2050.

Quelle est la prochaine grande échéance pour la filière en France ?

Bien évidemment la RE2020 et le seuil 2028. L’apparition de ce seuil signale définitivement les enjeux du coût carbone du bâtiment. Et même sila RE2020 initiale a déjà causé un choc culturel, ce nouveau seuil va impliquer une obligation de changement des méthodes constructives. Alors que certains maîtres d’ouvrage en sont encore au stade de l’expérimentation de solutions légères (ossature bois ou ossature métallique), il sera presque incontournable de faire appel à ce type de solution en complément du béton ou du béton bas carbone pour répondre à la réglementation. Un deuxième grand choc culturel va donc avoir lieu. Nous mettons quotidiennement en avant ce point auprès de nos interlocuteurs afin qu’ils se préparent et lancent leur transformation méthodologique en interne.

La filière est-elle prête pour une utilisation à grande échelle des solutions hors-site ?

Tout d’abord, il faut distinguer les filières hors-site : elles ne sont pas toutes au même stade de maturité et n’ont pas, à l’heure actuelle, les mêmes moyens de production. Tandis que les filières liées à la fabrication d’éléments simples et de murs finis sont prêtes, voire déjà en capacité de fournir des volumes conséquents, les filières du hors-site volumétrique, elles, ne fournissent pour l’instant que des volumes faibles. Il sera donc nécessaire que la commande donne de la visibilité aux entreprises en capacité de réagir efficacement. Il sera également nécessaire de ne pas dogmatiser l’usage de ce type de solutions mais de les coconstruire avec l’ensemble de la chaîne de valeur du bâtiment. Et bien évidemment, il va falloir informer et former l’ensemble des acteurs pour qui le DFMA (Design for Manufacturing and Assembly) ou encore les méthodes de travail en collaboration ne sont pas forcément acquises.

À propos du DFMA, quelques petites choses à savoir…

Le DFMA est la clef de réussite opérationnelle du bâtiment de demain, qu’il soit neuf, rénové ou en seconde vie. Ce sont des règles de conception collaborative permettant d’impliquer l’ensemble de la chaîne de valeur. C’est l’un des principes ayant permis la transformation d’autres secteurs. Il consiste en une optimisation poussée de chaque composant du bâtiment, afin qu’il soit peu coûteux à concevoir, à produire, à poser et à entretenir. Enfin, ce principe permet d’anticiper sa fin de vie et son recyclage. Pour cela, il faut impérativement que les équipes travaillent ensemble.

Comment aborder les années à venir ?

Le sujet est vaste. Mais je suis convaincu que la période que nous vivons est l’occasion parfaite de faire évoluer la manière dont nous pensons le bâtiment. Premièrement : nous allons rénover, surélever, offrir une seconde vie à nos bâtiments, au lieu de penser uniquement construction. C’est un point essentiel, qui va pousser les organisations à repenser leur manière de fonctionner. C’est également là que les compétences chantier vont s’orienter, il sera donc nécessaire de construire avec encore moins de main-d’œuvre qualifiée, et donc d’utiliser un maximum de solutions préfabriquées industrialisables. Deuxièmement : les solutions bas carbone arriveront vite à maturité et leur usage va se standardiser, il est donc nécessaire pour chaque organisation de savoir s’ils souhaitent prendre le train en marche ou le laisser passer. La crise que nous vivons est l’occasion de se réinventer, ne rien faire et essayer de conserver les méthodes d’hier pourrait être risqué. Troisièmement : la jeune génération qui fait et fera le bâtiment de demain tient particulièrement aux enjeux carbone, et souhaite faire davantage pour la planète. Elle met l’accent sur la qualité de vie et cherche des équilibres différents des générations qui l’ont précédée. Dans ce cadre, impossible de ne pas repenser nos organisations, qui vont de la manière de travailler ensemble, de l’ouvrier sur le chantier au directeur(trice) de travaux. Le rôle et les compétences de chacun à chaque étape du projet doivent donc être interrogés. Pour autant, et c’est un point crucial, nul besoin de balayer ce qui fonctionne, il faut prendre en compte le fait que les entreprises françaises sont parmi les plus compétentes du monde. Alors faisons confiance à l’écosystème en le poussant à évoluer.