Village olympique : leçons de ville

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« Empreintes », sur la commune de L’Île-Saint-Denis (93), est un projet d’envergure qui préfigure l’urbanisme de demain. Champ d’expérimentation, le village olympique et paralympique Paris 2024 dessine les contours d’une nouvelle ville mixte, durable, et où le fleuve retrouve toute sa place. Côté construction, le hors-site se distingue avec le bâtiment PE2, composé de logements pour les athlètes qui seront transformés après les JOP en résidence étudiante. Décryptage.

écoquartier fluvial de l’île-saint-denis
« EMPREINTES »
Bâtiment PE2
moa Groupement Pichet Legendre
moe EGA entreprise E-Loft

Perspective aérienne de l’écoquartier « Empreinte » L’Ile-Saint-Denis.

C’est, en Europe, l’un des plus grands territoires d’expérimentation pour une ville moins carbonée, plus respirable et – on l’espère – plus agréable à vivre : le village olympique et paralympique Paris 2024, implanté sur les communes de Saint-Ouen (93), Saint-Denis (93) et de L’Île-Saint-Denis (93). Dans cet ensemble, la ZAC de l’écoquartier fluvial de la commune de L’Île-Saint-Denis – la plus grande de la Seine (177ha) au nord de Paris – tient une place à part en raison de son caractère insulaire. Ici, le groupement Pichet Legendre va livrer vingt-deux bâtiments en vingt-huit mois (47600 m²), tous pensés pour être reconfigurés après les Jeux olympiques.

Selon ces promoteurs, ce projet d’envergure, baptisé « Empreintes », incarnera une nouvelle vision de l’urbanisme. En effet, le vaste ensemble, une fois transformé, en accord avec les exigences des collectivités, mixera des logements, un hôtel, une résidence étudiante, des commerces, un pôle nautique, une cité des arts et de la culture, deux immeubles de bureaux et une centrale de mobilité de 400 places réalisée par l’aménageur du quartier, la SEM Plaine Commune Développement. Pour la ville, l’objectif de ce nouveau quartier est de dynamiser cette petite commune, actuellement la plus pauvre du Grand Paris. « Plus le village mutera, plus il deviendra un véritable morceau de ville mixte et durable, riche d’un caractère de ville renouvelée et d’un environnement unique (insularité oblige, ndlr) », expliquait Delphine Espié, directrice générale Grands projets mixtes urbains et Immobilier tertiaire du groupe Pichet, lors d’une présentation aux parties prenantes en février dernier.

Logique fluviale

Comme pour tous les projets du village olympique et paralympique, le groupement s’est appuyé sur le cahier des charges de la Solideo. Il a donc agrégé trois équipes de maîtrise d’œuvre, structurées autour de trois agences d’architecture gérant chacune un macrolot : Chartier Dalix pour la coordination et la conception du lot PA en bordure du quai du Châtelier ; PetitdidierPrioux en équipe coordinatrice du lot PB en bordure du petit bras de Seine; Erik Giudice Architecture (EGA) pour la composition des bâtiments du lot PE, dédiés notamment aux sports et aux arts. Tous se sont appuyés sur des procédés innovants et décarbonés : le recours à des matériaux bio-sourcés, en particulier le bois, à la construction modulaire, ainsi que le choix d’une logistique fluviale pour l’approvisionnement en matériaux du chantier. « Ce projet, résume Delphine Espié, est un laboratoire à ciel ouvert, un concentré de technicité et de nouvelles technologies, de conception et de réalisation. Il intègre des bâtiments durables, de la réversibilité et de la mixité dans les usages. Tout en gardant à l’esprit que l’humain est au centre. Il s’agit de développer une vision écocitoyenne. »

Située face à la future place de la Batellerie, la résidence étudiante accueillera 266 athlètes et leurs accompagnants lors des JOP 2024. Elle comptera ensuite 142 appartements de 18 à 37 m² en phase Héritage et sera portée par le bailleur social Espacil.

Ainsi, l’écoquartier fait la part belle à la construction bois, avec seize bâtiments sur vingt-deux réalisés en structure bois et/ou façades à ossature bois. Ce qui représente un volume de plus de 9000 m3 et une surface de plus de 10000 m2. Conformément aux prescriptions de la Solideo, la totalité du bois utilisé sur le projet provient de forêts gérées durablement et 30 % de cet approvisionnement est issu de forêts françaises, le tout s’inscrivant dans la trajectoire de neutralité carbone en 2050.

Triple effet décarbonation

Démonstrateur dans le démonstrateur, le bâtiment PE2 – des logements pour les athlètes qui seront transformés, après les JOP, en résidence étudiante – a été conçu avec un système modulaire construit hors-site par E-Loft, imaginé par l’agence Erik Giudice Architecture (EGA). Basée en France et en Suède, cette agence est, comme cela est expliqué dans sa présentation, « spécialisée dans la réalisation de bâtiments innovants en bois et matériaux biosourcés ». Ici, le projet coche toutes les cases : qualité architecturale et triple effet de décarbonation, soit le choix du bois, de la méthode constructive et du mode de transport.

Sachant que l’option modulaire s’est imposée presque naturellement en cours de projet : « En phase concours, nous n’avions pas arrêté le mode constructif. D’ailleurs, le design a été traité comme un bâtiment conventionnel », se souvient Eric Giudice. Mais en raison de la nature même du projet très rationnel de résidence avec des chambres pour la plupart identiques – « même si certains modules diffèrent, les aménagements sont standardisés » –, l’intérêt du hors-site est apparu comme une évidence : « Nous avons proposé la solution modulaire 3D en phase conception. Les maîtres d’ouvrage étaient partants pour explorer ce mode constructif. » Sur le plan architectural, le projet n’a quasi pas été modifié : « L’intégration du hors-site a été réalisée sans modifier fondamentalement l’expression du bâtiment », explique l’architecte. Et cela était d’autant plus intéressant que l’espace sur place était très contraint en raison du nombre de chantiers en cours : « Le fait de réaliser un bâtiment en usine libère de la place et permet une meilleure organisation de chantier. Et d’autant plus ici, parce que les modules ont été livrés par voie fluviale, ce qui a permis de désengorger encore davantage l’accès au site », résume Eric Giudice. Ainsi les modules sont acheminés par la Seine depuis leur lieu de fabrication à Haulchin, dans le Nord. Sachant que le transport fluvial a été utilisé pour l’ensemble du projet d’écoquartier fluvial de L’Île-Saint-Denis. Ainsi, dès la phase de préparation, 44000t de terre ont été évacuées par voie fluviale, soit 18 000 camions évités.

Assemblage des modules.
Détail de l’assemblage des modules.
Positionnement des modules
in situ

141 modules ont été conçus et préaménagés à Haulchin, dans le département du Nord, par l’entreprise bretonne E-Loft. Ils ont été acheminés par voie fluviale sur l’Île Saint- Denis et assemblés in situ sur un socle en béton formant le rez-de-chaussée.


Acheminés par voie fluviale, les modules à peine arrivés
sont mis en place et solidarisés entre eux.

Et ce n’est que le début, car le fleuve est au cœur du projet urbain de L’Île-Saint-Denis, avec, notamment, la future centrale de mobilité, sous maîtrise d’ouvrage de la SPN, qui devrait permettre le fonctionnement sans voitures de ce nouveau quartier. « Nous ne sommes pas dans le symbole, mais dans l’action pour des aménagements plus vertueux. Soit une ville qui ne proclame pas seulement la position écologique, mais qui la réalise », résume Stéphane Troussel, président de la SEM Plaine Commune Développement.

Sur le retour d’expérience du bâtiment PE2, Pascal Martin, directeur général du groupe Legendre, mettait l’accent, lors de la présentation du projet en février dernier, sur les nombreux avantages de « la construction modulaire en bois [qui] s’inscrit dans les objectifs carbone que nous nous sommes fixés pour ces Jeux. Elle permet de limiter le gaspillage en maximisant le recyclage et le réemploi, de diminuer la circulation de véhicules de chantier, avec des émissions divisées par cinq, et les nuisances de chantier. Nous avons réduit de 30 % la durée de chantier, soit de dix-huit à douze mois ». Autre point positif : le transport fluvial utilisé pour l’acheminement des modules et une grande partie des composants bois du chantier. « Ce qui a permis d’éviter 2000 camions, soit 2000 t d’émissions de CO2. »

La Seine constitue un élément central du parti pris paysager de l’écoquartier pensé par l’agence d’urbanisme PhilipponKalt. Elle jouera un rôle clé dans le futur quartier et a aujourd’hui une place stratégique dans le cadre de la logistique du chantier en permettant l’approvisionnement par voie fluviale.

Mobiliser les filières industrielles

Pour autant, construire en modulaire bois est, selon les termes de Pascal Martin, « loin d’être un long fleuve tranquille. Les derniers mois n’étaient pas une croisière paisible. Au-delà de la Covid et du conflit en Ukraine, en voulant pousser loin les curseurs de la décarbonation –du modulaire, du bois et du transport fluvial –, nous nous sommes heurtés à la difficulté de mobiliser en aval des filières industrielles qui ne sont ni prêtes ni matures en amont. Force est de constater qu’aujourd’hui, très peu de sociétés peuvent construire du modulaire en France. La filière française bois et les entreprises de construction sont loin d’être en capacité d’absorber les volumes demandés par la nouvelle réglementation environnementale. Donc, nous avons un risque de voir arriver des bois étrangers et donc d’aggraver un bilan carbone que l’on souhaite alléger. Sans parler des tensions inflationnistes. Et enfin, le réseau fluvial français ne permet pas toujours un transport compétitif des marchandises d’un port à un autre. Même si de gros investissements sont en cours de réalisation. Donc, le monde de la construction a besoin d’une véritable politique de filière industrielle en amont, forte et durable. Sinon, la décarbonation de notre économie nous coûtera très cher. Malgré toutes ces difficultés, nous avons été très heureux de relever ces défis. »

De fait, l’ensemble des acteurs, quelles que soient les réserves exprimées, sont heureux qu’il soit déjà possible de construire bas carbone au plus haut niveau de la réglementation RE2020, soit celui attendu en 2030. Et, malgré les contraintes, tout est réalisé dans le cadre réglementaire, institutionnel, classique : « Si nous sommes capables de le faire dans ces conditions, cela signifie qu’on peut le faire partout en France. Au-delà des bâtiments, c’est un message d’espoir et d’optimisme. On a des leaders mondiaux existants, en gestation, et la question autour de cela, c’est se dire qu’on reste un grand pays de constructeurs », se félicite-t-il. Et d’ajouter : « Aujourd’hui, il y a environ 1 400 PME qui travaillent sur les ouvrages olympiques et qui viennent de 85 départements différents. C’est toute la France qui construit des ouvrages olympiques et c’est toute la France qui va en profiter. »

Stéphane Miget